L'esclavage dans la course aux Oscars
''Le film s'inspire de faits réels'', dit la première phrase. 12 YEARS A SLAVE, comme son nom l'indique, raconte les 12 années d'esclavage que vécut un Noir américain du nom de Solomon Northup,
de 1841 à 1853, et qu'il raconta dans un livre. Il faudra attendre 12 autres années avant l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis, en 1865.
Le réalisateur noir britannique Steve McQueen (aucun lien de parenté avec le célèbre acteur américain décédé) a adapté ce livre pour en faire un film poignant, qui sera l'un des favoris des prochains Oscars à Hollywood (neuf
nominations), après avoir remporté dimanche 12 janvier le
Golden Globe du meilleur film dramatique, décerné par la presse étrangère.
Peu connu du grand public, l'acteur Chiwetel Ejiofor interprète le rôle principal, celui de Solomon Northup, homme libre vivant à Saratoga, dans l'Etat de New York. Il a un travail, une femme, deux enfants, joue du
violon à ses heures.
Et puis un jour, trahi par deux connaissances, il est enlevé, enchaîné, emmené en bâteau vers la Louisiane, et vendu au marché aux esclaves, avec d'autres hommes, femmes et enfants, comme du
bétail.
Peu à peu, au fil des années, dans les plantations de coton, il accepte sa condition d'esclave, comme beaucoup d'autres. Mais avec le secret espoir de se révolter, de retrouver la liberté, alors
que beaucoup d'autres sont résignés.
''Je survivrai. Je ne tomberai pas dans le désespoir'', hurle-t-il à ses compagnons d'infortune, après plusieurs années. Plusieurs années après avoir juré, dans le bâteau qui le conduisait vers
l'esclavage, au début de l'histoire: ''Je ne veux pas survivre. Je veux vivre''.
Le film est un peu long (deux heures et quart) mais comporte des scènes fortes, notamment quand les esclaves sont fouettés ou ridiculisés par leurs ''propriétaires'' blancs. Ceux-ci n'ont
évidemment pas le beau rôle mais le réalisateur s'attache à décrire les rapports parfois ambigüs entre esclavagistes et esclaves, et également entre les Noirs eux-mêmes, tiraillés entre
résignation et révolte, entre fatalisme et espoir.
Une scène est particulièrement impressionnante: après avoir tenté de se révolter, Solomon est suspendu à un arbre, une corde autour du cou, ses pieds touchant à peine le sol, ce qui l'oblige à
lutter pendant des heures contre l'asphyxie, tandis que des enfants jouent en plein soleil et que d'autres esclaves passent à côté, presque indifférents.
La scène fait partie du livre du vrai Solomon Northup. ''Quand Solomon était là, luttant contre la mort sur la pointe des pieds, il a été assailli par toutes sortes de pensées car il est
longtemps resté dans cette position, et je voulais faire ressentir ça au public, afin qu'il éprouve pleinement l'expérience atroce d'un lynchage, tandis que la vie continue autour de lui'',
explique le réalisateur.
''Il ne s'agit pas de choquer les gens –cela ne m'intéresse pas–, mais il s'agit de faire preuve de responsabilité face à cette histoire. Quand on a tourné, il y avait un grand silence sur le
plateau, et une gravité qui montrait que nous avions conscience qu'il fallait en passer par là''.
C'est le troisième film de Steve McQueen, après HUNGER (2008), qui racontait la lutte de Bobbi Sands et des grévistes de la faim en Irlande du Nord en 1981, et SHAME (2011), moins politiquement correct, sur un trentenaire new-yorkais obsédé sexuel.
Michael Fassbender, star montante d'Hollywood ces dernières années, interprétait le rôle principal dans ces deux premiers films et
joue, ici, un propriétaire terrien particulièrement cruel avec ses esclaves, qu'il considère comme des objets lui appartenant.
Une autre vedette est au générique, mais a surtout coproduit le film: Brad Pitt, qui a, à la fin de l'histoire, un petit rôle –mais capital pour le dénouement.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
''Moi je ne veux pas survivre. Je veux vivre'' (Solomon Northup, au début de son esclavage).
12 YEARS A SLAVE
(Grande-Bretagne, 2h13)
Réalisation: Steve McQueen
Avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch
(Sortie le 22 janvier 2014)