Retour sur une barbarie
La guerre d'Algérie, les rapatriés, le débarquement des Américains en Afrique du Nord, la guerre des Six Jours au Proche-Orient: Alexandre Arcady a souvent situé ses films dans un contexte
historique.
Pour son nouveau film, 24 JOURS, il a choisi de raconter un fait divers qui avait ému et secoué la France en 2006: l'enlèvement et la mort d'Ilan Halimi par le ''gang des barbares''.
Le sous-titre du film est ''La vérité sur Ilan Halimi'', tout comme le livre dont il est tiré: il s'agit du récit des événements écrit par la mère du jeune homme, Ruth Halimi (en
collaboration avec Émilie Frèche, Ed. Points). Ce ''n’est pas un film sur le gang des barbares mais un film qui témoigne du martyre d’Ilan Halimi'', affirme le réalisateur, qui constate amèrement
''qu’en France les bourreaux sont plus connus que les victimes''.
Ilan Halimi, jeune homme de 23 ans qui travaillait dans une boutique de téléphonie du boulevard Voltaire à Paris, fut choisi parce qu'il était juif. Pour Youssouf Fofana, organisateur de
l'enlèvement et chef de ce qu'on appellera plus tard le ''gang des barbares'', cela signifiait que sa famille avait de l'argent et qu'elle pourrait payer la rançon.
Ce n'était pas vrai: la mère du jeune homme travaillait comme secrétaire à l'accueil d'une société, le père tenait une boutique de prêt-à-porter. Une famille de la classe moyenne, ni riche ni
pauvre.
Ilan Halimi a été piégé par une jeune fille qui l'a séduit, qui lui a donné un rendez-vous dans un café de la porte d'Orléans, et qui l'a livré aux ravisseurs le 20 janvier 2006.
Pendant 24 jours, le jeune homme sera caché dans un appartement puis une cave de Bagneux (Hauts-de-Seine), séquestré et torturé par une bande de jeunes malfaiteurs, avant d'être abandonné mourant
près de la gare de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), le 13 février.
Pendant 24 jours, ses parents recevront 650 coups de fil et mails des ravisseurs mêlant demandes de rançon au montant qui ne cessera de changer, insultes, menaces et photos.
Quelques jours après la mort d'Ilan Halimi, grâce à une dénonciation, une trentaine de personnes seront arrêtées, dont Youssouf Fofana, en Côte d'Ivoire. Celui-ci sera condamné en 2009 à la
réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 22 ans.
''Il y a des moments dans la vie où l'on est happé, bousculé, outré, révolté'', dit Alexandre Arcady à propos des événements de 2006. Son film, souligne-t-il, a le même but que le livre dont il
est tiré: ''donner l’alerte, ne pas rester les bras croisés, faire en sorte que cette tragédie nous ouvre les yeux. Et surtout, être du côté des victimes et non pas des bourreaux''.
Le film est bien sûr très fidèle au livre, montrant comment la famille a d'abord fait confiance à la police, avant de se diviser: le père (Pascal Elbé) restant sur cette position jusqu'au bout,
la mère (Zabou Breitman) finissant par se révolter.
Mais, ''dans le film, il n'y a aucune charge'', affirme le réalisateur. ''Je pense que les policiers ont fait plus que le maximum. Ils étaient 400 fonctionnaires à déployer toute leur énergie, 24
heures sur 24. Malheureusement ils ont fait des erreurs. Ils n'ont pas mesuré exactement la personnalité de ceux qu'ils avaient face à eux''.
C'est l'une des choses qu'on retient du film, ce sentiment qu'Ilan Halimi aurait pu échapper à la mort sans les erreurs commises par les enquêteurs, interprétés ici notamment par Jacques Gamblin
(le commissaire chargé du dossier) et Sylvie Testud (la psychologue de la police).
En revanche le film n'insiste pas suffisamment sur la complicité passive de la trentaine de personnes qui, à Bagneux, savaient qu'un homme était sequestré et n'ont rien dit à la police pendant 24
jours –la vraie barbarie, peut-être, de ce fait divers pas comme les autres.
Pour interpréter le rôle principal, celui de Ruth Halimi, la mère de la victime, Alexandre Arcady avait choisi Valérie Benguigui. Mais la maladie et le décès de l'actrice ont fait que le rôle est
finalement revenu à Zabou Breitman, qui s'en tire avec talent, crédible et touchante.
Le film est d'une force et d'une sobriété remarquables, que renforce la volonté du réalisateur d'être allé au plus près des faits. ''Tout est malheureusement vrai'', dit-il: ''les 650 appels
téléphoniques, les demandes de rançon irrationnelles, les insultes, les menaces, les rendez-vous donnés et annulés aussitôt, les multiples voyages de Fofana en Côte d’Ivoire, son interpellation
en pleine rue et son arrestation manquée au cyber-café... Tout est cruellement vrai''.
Il a aussi tourné beaucoup de scènes sur les lieux mêmes des faits: au 36 Quai des Orfèvres, près de la gare de Sainte-Geneviève-des-Bois, dans les cyber-cafés, ''tous les quartiers de Paris où
l’histoire s’est déroulée''.
Le manque relatif de suspense (pour beaucoup de spectateurs qui connaissent l'histoire) n'empêche pas l'émotion qui se dégage du film. Sur la fin, quelques scènes tireront des larmes même aux
moins sensibles –sauf peut-être à Dieudonné et à
quelques-uns de ses amis.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
''Qui aurait pu croire qu'une chose pareille puisse arriver à Paris en 2006?'' (Zabou Breitman, au début du film).
24 JOURS
(France, 1h50)
Réalisation: Alexandre Arcady
Avec Zabou Breitman, Pascal Elbé, Jacques Gamblin
(Sortie le 30 avril 2014)