Les critiques de cinéma conviés à des projections de presse plusieurs semaines avant la sortie d’un film ont bien de la chance –c’est CinéGong qui vous le dit. Il leur arrive de voir un film sans en avoir entendu parler, sans en connaître l’histoire, sans en deviner la fin. Un regard vierge.
Difficile d’en dire autant pour les amateurs de cinéma à propos de 3 CŒURS, le nouveau film de Benoît Jacquot. Quasiment tous les articles de presse depuis la présentation du film à la dernière Mostra de Venise, le résumé du synopsis sur le moindre site internet, la bande-annonce (à voir ci-dessous, si vous y tenez), le site Facebook, l’affiche même du film: tout concourt à vendre la mèche.
Et pourtant, pendant une demi-heure, c’est un formidable suspense sentimental auquel on assiste, en début de film. 
Dans une ville de province, une nuit, un homme, Marc (Benoît Poelvoorde), court vers la gare mais rate son train de retour vers Paris, le dernier. A la brasserie la plus proche, il fait la connaissance d’une jeune femme, Sylvie (Charlotte Gainsbourg), venue acheter un paquet de cigarettes.
Ils sympathisent, errent dans les rues toute la nuit, parlant de choses et d’autres, sans vraiment se raconter leur vie. Ils ignorent à peu près tout l’un de l’autre quand, au petit matin, alors que Marc prend le premier train, ils décident de se revoir à Paris.
Ils n’échangent ni leurs noms ni leurs numéros de téléphone, se donnant simplement rendez-vous à un endroit et une heure bien précis.
Sylvie rentre chez elle, fait ses valises, quitte son compagnon. Elle part habiter quelques jours chez sa mère (Catherine Deneuve) et sa soeur (Chiara Mastroianni), avant d'aller à son rendez-vous parisien. Quelques jours plus tard, elle prend le train pour la capitale et se rend au lieu dit, à l'heure dite.
De son côté Marc, contrôleur fiscal, attend avec impatience le jour du rendez-vous. Mais il souffre de problèmes cardiaques. Et, ce jour-là, il fait un malaise. Une fois remis, il court à son rendez-vous mais arrive trop tard, bien trop tard. Sylvie a longtemps attendu, puis elle est partie.
Sylvie retourne chez elle. Quelques jours plus tard, Marc retourne dans sa ville, retourne à la brasserie où il l'avait rencontrée, retourne dans les endroits de leur promenade nocturne. En vain. Ne connaissant ni son nom, ni son adresse, ni son numéro de téléphone, il ne peut la retrouver...
C'est sûr, s'ils avaient échangé leurs 06, le film s'arrêtait là. Le postulat de départ est donc un peu invraisemblable. Mais le reste –et, non, on ne vous le racontera pas– ne l'est pas moins.
Mais on se laisse emporter par l'histoire, entre mélo et thriller sentimental, et par la description d'un amour fort, dévastateur, contrarié mais que le temps ne peut effacer.
On se laisse emporter par le jeu formidable de Benoît Poelvoorde, entre fragilité et passion. (Et aussi, oui, bien sûr, par le joli trio Gainsbourg-Mastroianni-Deneuve).
On se laisse emporter par l'habileté de Benoît Jacquot, cinéaste singulier dont les films les plus connus étaient en costumes (SADE, TOSCA, AU FOND DES BOIS, LES ADIEUX À LA REINE).
Et on se laisse emporter par la fin, drôle de fin, belle fin, au bout d'un joli suspense...
Jean-Michel Comte

LA PHRASE
''J’aime bien les femmes'' (Benoît Poelvoorde, à Charlotte Gainsbourg).

3 COEURS
(France, 1h46)
Réalisateur: Benoît Jacquot
Avec Benoît Poelvoorde, Charlotte Gainsbourg, Chiara Mastroianni
(Sortie le 17 septembre 2014)