ADIEU MONSIEUR HAFFMANN
Mélodrame en sous-sol
Dans le Paris de l'Occupation, c'est un mélodrame en sous-sol qui se joue dans la cave de la bijouterie d'un joaillier juif dans le film ADIEU MONSIEUR HAFFMANN, qui sort ce mercredi 12 janvier.
On est en mai 1941, dans Paris occupé par les Allemands. Joseph Haffmann (Daniel Auteuil) tient une bijouterie et a un employé, François Mercier (Gilles Lellouche). Près de sa boutique à l'enseigne "Haffmann & Fils", les autorités collaborationnistes viennent de coller une affichette avec ce titre: "Recensement des Juifs".
Vendre sa bijouterie
Haffmann décide alors d'envoyer sa femme et leurs trois enfants adolescents en zone libre. Avant de les rejoindre, il veut régler une affaire: vendre sa bijouterie pour une bouchée de pain à Mercier –qui, lui, n'est pas juif–, avec promesse de celui-ci de continuer à faire tourner la boutique et de lui rendre ses biens une fois la guerre terminée.
Une fois l'acte de vente signé, Haffmann s'en va avec une valise et une sacoche contenant un petit tableau de Claude Monet. Mercier et sa femme Blanche (Sara Giraudeau), qui travaille dans une blanchisserie, s'installent dans l'appartement au premier étage de la bijouterie et y passent leur première nuit.
Un service un peu particulier
Mais au petit matin, Haffmann est de retour dans la boutique. Il n'a pas réussi à prendre le train pour rejoindre sa famille, à cause des nombreux contrôles. Mercier lui propose alors de le cacher dans la cave. Au fil des jours il lui apporte nourriture et livres, et accepte d'aller poster ses lettres à sa famille. Les mois passent.
Mais en septembre, Mercier, qui rêve de fonder une famille avec Blanche –mais qui, apparemment stérile, n'y arrive pas–, demande à Haffmann un service un peu particulier: il veut bien continuer à poster les lettres, malgré le danger qu'il prétend que cela lui fait courir, mais en contrepartie exige que le joaillier couche avec sa femme jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte. "C'est du chantage?", demande Haffmann. "C'est un échange", répond Mercier.
Désir de paternité
D'abord éberluée, Blanche accepte de descendre régulièrement voir Haffmann, pour satisfaire le désir frustré de paternité de son mari…
Au fil des semaines, un officier allemand, que Mercier juge "sympathique", vient souvent acheter des bijoux dans la boutique, dont la devanture a été repeinte au nom de Mercier. La clientèle allemande est de plus en plus importante, les affaires marchent. Blanche arrête de travailler. Dans le quartier, ça jase de plus en plus. Et Blanche n'est toujours pas enceinte…
Librement adapté de la pièce
C'est le premier film en costumes de Fred Cavayé, réalisateur éclectique puisqu'il avait connu le succès avec trois thrillers haletants (POUR ELLE en 2003, À BOUT PORTANT en 2010, MEA CULPA en 2014) avant de se tourner vers la comédie avec RADIN! (2016) et LE JEU (2018). Ici il a librement adapté –avec des changements acceptés par l'auteur, qu'il connaît depuis une vingtaine d'années– la pièce à succès écrite et mise en scène par Jean-Philippe Daguerre, qui a remporté 4 récompenses lors de la cérémonie des Molières en 2018.
La pièce parle beaucoup de spoliation mais Fred Cavayé a préféré centrer son film sur le personnage de Mercier pour, dit-il, "traiter les salauds sous l’Occupation".
"On a surtout parlé des personnages comme les résistants, les héros de cette période, et peu sur des gens qui sont passés du côté sombre de l’Histoire. C’est le point de départ de cette histoire. Depuis longtemps je voulais traiter ce sujet", explique-t-il.
Côté sombre
"On voit jusqu’où l’âme humaine peut aller, pour des petites choses, dans le côté sombre", ajoute-t-il. "Comme souvent, les gens qui font des trucs horribles le font pour une bonne raison et arrivent à se dédouaner".
Gilles Lellouche incarne, sans trop de nuances malgré une évolution au fil de l'histoire, ce brave Français moyen qui devient peu à peu méprisable. "Je trouvais intéressant de lui faire jouer un salaud pour qu’il puisse montrer autre chose que ce que l’on connaît déjà de lui", dit le réalisateur.
Suspense
On trouve davantage de pudeur et de délicatesse dans les scènes avec Daniel Auteuil et surtout Sara Giraudeau, qui fait de Blanche, selon le réalisateur, "le personnage le plus courageux".
Dans ce scénario au point de départ crédible qui vire ensuite au rebondissement peu vraisemblable, le suspense s'installe peu à peu dans la dernière partie: suspense de l'histoire (les Allemands rôdent autour de la boutique et de sa cave), doublé d'un suspense psychologique entre les trois personnages. Avec une fin intéressante, qu'on ne voit pas forcément venir.
Tournage interrompu par le confinement
Le réalisateur a su, la plupart du temps, éviter le piège du théâtre filmé et du huis clos, même si les conditions de tournage l'ont obligé à brider certaines de ses intentions de mise en scène. Il restait en effet deux semaines de tournage quand est tombé le premier confinement de mars 2020 et Fred Cavayé a donc dû réécrire certains éléments du scénario afin de limiter la figuration: par exemple une séquence de rafle nécessitant plus de 200 figurants a été supprimée.
"Fred Cavayé disposait déjà de nombreux rushs et a pu préparer son montage durant le confinement", a expliqué la productrice du film Vanessa Djian dans une interview à Écran Total. "Ce qui nous a aidés pour la reprise (du tournage) car il savait quelle décision prendre afin de réinventer le film et évoquer les horreurs de la guerre sans pour autant les montrer puisque nous ne pouvions plus tourner ce genre de scènes. Cette crise a radicalisé ses choix de mise en scène. Au final, le récit et le film en sont sortis renforcés".
Message fort
Le film porte un message fort sur les discriminations dont furent victimes les Juifs pendant l'Occupation, grâce au scénario et aux décors minutieusement reconstitués. Pendant les deux mois de suspension du tournage, jusqu'à la levée du confinement le 11 mai 2020, ces décors extérieurs, dans deux rues du quartier de Montmartre à Paris, à deux pas du Sacré-Cœur, sont d'ailleurs restés comme figés en 1941 (voir ici l'étonnant reportage photo de France-TV-Info). Depuis, la vie et le présent ont repris leur place.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Tout le monde est doué pour au moins une chose. Il suffit de trouver quoi" (Daniel Auteuil).
(France/Belgique, 1h56)
Réalisation: Fred Cavayé
Avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau
(Sortie le 12 janvier 2022)
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