L'inattendue Palme d'or de Cannes
Comme dirait l'autre, de quoi la Palme d'or est-elle le nom? Très rythmé et un peu déjanté, le film américain ANORA, qui sort sur les écrans ce mercredi 30 octobre, a déjoué les pronostics pour remporter la récompense suprême du dernier Festival de Cannes en mai dernier.
L'histoire est celle d'Anora (Mikey Madison), 23 ans, strip-teaseuse de Brooklyn d'origine ouzbèke, qui rencontre Ivan (Mark Eydelshteyn), 21 ans, fils d'un riche homme d'affaires russe. Fêtes, alcool, sexe et cocaïne: il ne pense qu'à dépenser l'argent de papa en passant du bon temps avec ses copains russes et séduit la jeune femme en l'invitant dans son immense maison familiale (baies vitrées, ascenseur intérieur, gardes à l'entrée de la résidence, six voitures de luxe dans le garage).
Mariage à Las Vegas
Après une nuit d'amour il lui propose 15.000 dollars pour une semaine de sexe avec lui. Ce n'est pas un méchant garçon, c'est juste un enfant gâté immature qui passe son temps devant des jeux vidéo. Anora tombe amoureuse et, après une virée à Las Vegas, Ivan décide de l'épouser.
Mais les parents du jeune homme apprennent ce mariage qu'ils n'ont pas autorisé, et décident de venir à New York pour le faire annuler. En attendant, ils chargent un prêtre orthodoxe local, Toros (Karren Karagulian), aidé de deux hommes de main, de faire pression sur le jeune couple et de le menacer…
Cendrillon moderne
"Ce que je voulais, c'était transposer l’histoire de Cendrillon dans les États-Unis d’aujourd’hui", expliquait à Cannes le réalisateur, Sean Baker, 53 ans, dont c'est le huitième film.
Peu connu du grand public mais figure du cinéma indépendant américain, il a montré dans ses films à petit budget les laissés-pour-compte et marginaux de l’Amérique, notamment les travailleurs du sexe. Ici le personnage d'Anora, superbement interprété par la jeune actrice Mikey Madison, lui donne l'occasion d'un portrait réaliste et touchant.
Oligarques
Mais il se défend d'avoir voulu faire une critique acerbe des riches, en l'occurrence la communauté russophone de New York ou les puissants milliardaires russes (qualifiés systématiquement dans la presse d'"oligarques"): "En réalité, je ne voulais pas filmer les riches différemment des autres personnages. Ce sont des humains, en chair et os, pour qui l'on peut ressentir de l’empathie. Je n’ai jamais voulu faire de caricature de quiconque".
On ne s'ennuie pas dans ANORA, qui ne manque pas de rythme et de rebondissements, passe d'une histoire d'amour à une course-poursuite endiablée, avant de finir sur une note plus sociale, intime, sentimentale.
Mais il y a aussi beaucoup de longueurs (l'intrusion de Toros et ses sbires dans la maison d'Ivan est interminable), un ton burlesque qui tend à orienter le film vers la comédie mais détonne avec le déroulé de l'histoire, et parfois des dialogues décalés, bizarres. Des imperfections n'ont pas empêché le jury de Cannes de choisir ce film comme Palme d'or –après tout pourquoi pas?
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Je n'ai pas Instagram, je suis un adulte" (Toros).
(États-Unis, 2h18)
Réalisation: Sean Baker
Avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Karren Karagulian
(Sortie le 30 octobre 2024)
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