Quand on aime, on ne conte pas
''J'y crois pas, à toutes ces conneries. Comment ça peut m'atteindre?'' Dans AU BOUT DU CONTE, Jean-Pierre Bacri est bougon. Et encore plus que d'habitude quand il s'aperçoit que, au fil des jours, il accorde de plus en plus d'importance à une futilité: une voyante lui a prédit la date exacte de sa mort. Il n'y croit pas, bien sûr. Mais...
C'est une aventure vécue réellement par Bacri dans sa jeunesse. Acteur et scénariste comme son amie Agnès Jaoui, également réalisatrice, il a glissé cette anecdote dans ce film qui porte sur les croyances en général, et les contes de fées en particulier. ''Il semble qu'on ne puisse pas faire autrement que de croire en quelque chose'', explique Agnès Jaoui. Avec Jean-Pierre Bacri, ''on voulait parler de la nécessité ET de l'absurdité de la croyance''.
Tous deux ont donc bâti un scénario où des gens de tous les jours –pas des bobos ou des intellos ou des directeurs artistiques d'agences de pub, mais des gens normaux-- se comportent comme des personnages de contes pour enfants: ''Peau d'Âne'', ''Cendrillon'', ''Le Petit Chaperon rouge'', ''La Belle au bois dormant'', ''Le Petit Poucet'', ''Blanche-Neige''...
Le spectateur s'amusera à reconnaître ou deviner qui est qui dans les différentes histoires qui se mêlent: Laura (Agathe Bonitzer) tombe amoureuse de son prince charmant, Sandro (Arthur Dupont), jeune musicien compositeur de talent, mais va être troublée par Maxime (Benjamin Biolay), le voisin de sa tante Marianne (Agnès Jaoui), à qui elle raconte tout. Pierre (Jean-Pierre Bacri), le père d'Arthur, moniteur d'auto-école, qui ne croit en rien et ne supporte pas les enfants, va faire la connaissance de Marianne, comédienne qui enseigne le théâtre aux jeunes enfants dans une école.
Il a aussi Jacqueline, l'ex-femme de Pierre et mère de Sandro, qui travaille dans un café. Et Éric, l'ex-mari de Marianne, et père de leur fille de neuf ans qui a une crise de mysticisme et d'urticaire, lit la Bible à longueur de journée et veut faire sa communion. Et Guillaume, le père de Laura, capitaine d'industrie accusé à tort de pollution, et sa femme Fanfan, qui a recours à la chirurgie esthétique pour faire oublier le temps qui passe.
Ce film bien ancré dans la vie de tous les jours regorge de petites réflexions, de dialogues drôles, de scènes humoristiques (les leçons de conduite automobile données par Jean-Pierre Bacri à Agnès Jaoui) qui équilibrent le propos du film sur la liberté et la solitude, le destin et le libre choix, les poids des liens familiaux, la vie de couple, la fidélité, les enfants.
À s'éparpiller un peu, AU BOUT DU CONTE manque un peu de souffle et de vision d'ensemble (on est loin de la qualité du premier film d'Agnès Jaoui, LE GOÛT DES AUTRES en 2000), mais vaut par sa justesse de ton. L'un des messages de la réalisatrice, à destination des jeunes filles, est que ''le prince charmant n'existe pas''.
Parmi les acteurs, Benjamin Biolay –qui révèle une façon inédite de réveiller une princesse endormie-- joue très juste dans un registre à la fois mystérieux et discret. Et on ne se lasse pas du personnage désormais classique de ronchon que joue (mais joue-t-il?) Jean-Pierre Bacri, tout en constatant que sa meilleure scène, chargée d'émotion, est celle dans laquelle il pleure dans les bras de son fils, culpabilisé de ne pas l'avoir suffisamment aimé.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
''Elle ne veut plus faire sa communion. Elle veut faire du poney''. (Agnès Jaoui, commentant l'évolution de sa fille de neuf ans, passée par une période de mysticisme).
(France, 1h52)
Réalisation: Agnès Jaoui
Avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Agathe Bonitzer
(Sortie 6 mars 2013)