La dernière reine de France
Un biopic sur Bernadette Chirac, comme pour Dalida, Yves Saint Laurent, Freddie Mercury ou Elvis Presley: quelle drôle d'idée? Eh bien BERNADETTE, le film de la jeune réalisatrice Léa Domenach (sur les écrans ce mercredi 4 octobre), est une heureuse surprise, qui mélange épisodes politiques et moments personnels avec une bonne dose d'humour et beaucoup d'empathie.
Ce n'est d'ailleurs pas un vrai biopic couvrant toute la vie de Bernadette Chirac: le film porte sur la période des deux mandats de Jacques Chirac, entre 1995 et 2007. Et la Première Dame est interprétée par Catherine Deneuve, dont c'est le grand retour au cinéma quatre ans après l'attaque cérébrale dont elle fut victime fin 2019.
"BERNADETTE raconte la revanche d’une femme, trop longtemps enfermée dans un rôle d’épouse et de mère, qui décide de prendre un jour son destin en main", explique la réalisatrice Léa Domenach. "Mon intention est d’offrir une fiction drôle et émouvante, à l’image de la vraie Bernadette Chirac. Et qui rêver de mieux que Catherine Deneuve pour incarner la dernière reine de France?"
Mise de côté
Quand elle arrive à l’Elysée en 1995, Bernadette Chirac s’attend à obtenir enfin la place qu’elle mérite, elle qui a toujours œuvré dans l’ombre de son mari (Michel Vuillermoz) pour qu’il devienne président. Mais elle se sent vite mise de côté.
Mise de côté par sa fille Claude (Sara Giraudeau), proche conseillère de son père et qui prend toute la place. Mise de côté par l'entourage de Jacques Chirac (les Alain Juppé, Dominique de Villepin et autres hommes politiques dont les portraits ne sont ici pas très flatteurs). Mise de côté par son mari lui-même: "Dans le film, on voit à quel point Jacques Chirac était dur avec elle, ce qui est avéré. C’est contre toutes ces petites humiliations que Bernadette Chirac a un jour choisi de se rebeller, et c’est cette rébellion que j’ai voulu raconter", dit la réalisatrice, dont c'est le premier film.
Transformer son image
Jugée "ringarde, austère, froide, acariâtre, revêche" selon un sondage réalisé auprès du personnel de l'Élysée, Bernadette Chirac décide donc de se révolter, de réagir, de s'affirmer. C'est le préfet Bernard Niquet (Denis Podalydès), devenu son proche conseiller, qui va l'aider à transformer son image de femme démodée aux tristes tailleurs Chanel roses. "Vous n'êtes pas ringarde, vous êtes vintage", lui dit-il…
"La vie de Bernadette Chirac ressemble à celle de beaucoup de femmes, qui sont tout aussi éduquées que leurs maris et qui finissent par se mettre en retrait pour leur laisser la place. C’est cette histoire que je voulais raconter et qui me rappelait celle de mes grands-mères", explique Léa Domenach, fille du journaliste politique Nicolas Domenach et petite-fille de l'écrivain Jean-Marie Domenach.
Images d'archives
Les activités d'élue locale en Corrèze, l'opération Pièces jaunes, son intuition contre la dissolution de l'Assemblée en 1997, la visite d'Hilary Clinton en Corrèze sans que son mari ait été prévenu, la Coupe du monde de football 1998, les municipales de 2001, son livre autobiographique en 2001, sa fille aînée Laurence souffrant d'anorexie mentale, le rapprochement avec Nicolas Sarkozy, l'AVC de son mari, les ennuis judiciaires de celui-ci à propos des emplois fictifs de la Mairie de Paris, la réélection en 2002: le film évoque, parfois avec des images d'archives détournées, différents moments de la vie de Bernadette Chirac pendant ces 12 ans à l'Élysée.
Une anecdote fait sourire, parmi d'autres: la nuit de l'accident de Lady Di, Jacques Chirac est introuvable car il ne dort pas à l'Élysée ce soir-là. Il passe la nuit en compagnie de Claudia Cardinale (qui a toujours démenti cette aventure extra-conjugale)…
Basé sur des faits avérés
"La plus grande partie du scénario est basée sur des faits avérés. (…) Une fois que l’histoire était établie, nous avons pris des libertés parce que justement, nous écrivions une fiction", explique la réalisatrice, qui dit avoir "volontairement adouci le caractère", de Bernadette Chirac pour en faire un personnage de comédie.
Car le film, au-delà des faits historiques et de la revanche d'une femme sur ceux qui se moquaient d'elle, prend délibérément le ton de la comédie, de la légèreté, de clins d'œil appuyés –illustrés par une idée originale de réalisation, les apparitions régulières d'un chœur catholique venant chanter les transitions entre différentes périodes du film.
Une comédie
BERNADETTE n'est donc pas un film politique ni même une reconstitution historique, c'est une comédie, drôle et parfois émouvante, "parce que Bernadette Chirac est quelqu’un de drôle et qu’on ne pouvait pas passer à côté de ça", conclut Léa Domenach. "Mais surtout parce que la comédie permet de raconter une histoire avec de la distance et je crois qu’on peut faire passer beaucoup de messages par le biais de l’humour. Bernadette est une sorte de satire bienveillante, dont le but n’est pas de se moquer de ses personnages".
La réalisatrice n'a pas consulté la famille Chirac pour ce film ("Nous n’avons pas eu besoin de demander leur autorisation car, si le film s’inspire de faits réels et publics, il s’agit d’une fiction"), et le projet n'a pas été du goût de Claude Chirac. Aujourd'hui Bernadette Chirac a 90 ans et sa santé décline, selon ses proches. Elle vit retirée de la vie publique depuis plusieurs années et sa dernière apparition privée, en fauteuil roulant, date de novembre 2020, un peu plus d'un an après le décès de Jacques Chirac le 26 septembre 2019.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"J'ai toujours pensé que le grand homme politique du clan Chirac, c'était vous" (Nicolas Sarkozy à Bernadette Chirac, en fin de film).
(France, 1h32)
Réalisation: Léa Domenach
Avec Catherine Deneuve, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz
(Sortie le 4 octobre 2023)
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