Adoptés puis rejetés
Des milliers d'enfants étrangers adoptés par des couples américains depuis la Seconde guerre mondiale sont menacés d'expulsion une fois devenus adultes, pour la simple raison que leurs parents adoptifs ont oublié de les naturaliser à leur arrivée. C'est cette aberration des lois américaines sur l'immigration que dénonce l'émouvant film BLUE BAYOU, sur les écrans français ce mercredi 15 septembre.
Le film, retenu pour Un Certain Regard 2021, la sélection officielle parallèle du Festival de Cannes, est réalisé et interprété par Justin Chon, d'origine coréenne mais né aux États-Unis –et donc, contrairement à son personnage, citoyen américain.
Adopté à trois ans
Il interprète donc Antonio LeBlanc (Justin Chon), adopté en 1988 quand il avait trois ans mais qui a perdu de vue ses parents adoptifs. Il vit dans une petite ville de Louisiane avec sa femme Kathy (Alicia Vikander) et Jessie, la fille de celle-ci, âgée de sept ans. Le père de la fillette, Ace, un policier de la ville, a abandonné femme et enfant mais veut continuer à voir Jessie –ce que celle-ci refuse.
Antonio est un père attentionné (Jessie l'appelle "papa"), un mari aimant, Kathy est enceinte de lui, c'est le bonheur familial malgré les difficultés financières: Antonio, qui travaille à temps partiel chez un tatoueur à La Nouvelle Orléans, cherche un travail plus stable et mieux payé.
Menacé d'expulsion
Leur destin bascule le jour où, dans un supermarché, tous trois sont apostrophés par Ace et un collègue policier raciste et violent. Arrêté après un début de bagarre, Antonio se voit soudain menacé d'expulsion du territoire des États-Unis: il n'a officiellement pas la nationalité américaine et a été fiché pour deux délits mineurs (des vols de motos) dans sa jeunesse.
Avec l'aide d'un avocat –qu'il va falloir payer–, il entame alors un long combat pour pouvoir rester auprès de sa famille, dans le pays où il a vécu plus de trois décennies…
Troisième film
Justin Chon, 40 ans, a joué comme acteur dans une vingtaine de films depuis 2006, dont la série des TWILLIGHT aux côtés de Kirsten Stewart et Robert Pattinson, avant de passer de l'autre côté de la caméra. BLUE BAYOU est son troisième film comme réalisateur après GOOK (2017), sur les émeutes raciales de Los Angeles vécues par deux frères d'origine coréenne, et MRS PURPLE (2019), sur le quotidien d’un frère et d'une sœur prenant soin de leur père en fin de vie dans le quartier coréen de Los Angeles.
Comme acteur il est ici très crédible en père de famille américano-coréen, qui tente de mener une vie tranquille en Louisiane, aux côtés de l'actrice suédoise Alicia Vikander, vue ces dernières années dans DANISH GIRL, JASON BOURNE, UNE VIE ENTRE DEUX OCÉANS ou TOMB RAIDER notamment. On retrouve également avec plaisir, dans le rôle d'une voisine intégrée à la société américaine mais défendant ses racines, l'actrice franco-vietnamienne Linh-Dan Pham, qui a débuté au cinéma à 17 ans dans INDOCHINE de Régis Wargnier en 1991, dans le rôle de fille adoptive de Catherine Deneuve.
Esthétisme
Le film recherche l'émotion du spectateur, avec des scènes qui tirent les larmes et un esthétisme marqué (flous artistiques, ralentis, couleurs délavées ou saturées, éclairages très travaillés). Quand approche le dénouement, après qu'on s'est attaché aux personnages pendant près de deux heures, on souhaite que ça finisse bien comme un film grand public, on redoute qu'au contraire ça finisse mal comme un film d'auteur –allez, on transigerait volontiers pour une fin entre les deux, ni trop optimiste ni trop pessimiste…
Parfois cependant le réalisateur en fait trop, tirant un peu sur le pathos dans son désir d'évoquer pêle-mêle les questions d’immigration et d’expulsion, les violences policières et l’abus de pouvoir, l'enfance maltraitée, les familles fracturées, l’identité culturelle et les racines familiales. Ainsi Antonio était un enfant adopté mais battu, ainsi la voisine vietnamienne est en phase terminale d'un cancer, ainsi le collègue policier d'Ace est le flic violent et abruti le plus caricatural et le moins crédible de l'histoire du cinéma américain.
Chanson de Linda Rondstadt
Il y a aussi un excédent de musiques mielleuses et de chansons sentimentales, comme cette Blue Bayou qui a inspiré le titre du film, chanson de 1961 reprise en 1977 par Linda Rondstadt: "Je me sens si mal/ Mon âme est torturée/ Je suis si seule tout le temps/ Depuis que j’ai quitté mon amour/ À Blue Bayou/ J’économise le moindre centime/ Je travaille jusqu’à la nuit/ En attendant des jours meilleurs/ À Blue Bayou".
Mais malgré ces défauts BLUE BAYOU est un film touchant et sincère, au message fort et aux personnages attachants, avec mine de rien quelques moments de suspense. "J’adorerais que mon film réveille des consciences et que les lois s’en trouvent réformées", dit le réalisateur. "Ce genre de choses arrive à des gens qui ont été adoptés en Inde, en Chine, en Afrique, au Mexique, dans le monde entier. Donc, j‘espère que mon film va ouvrir des perspectives et relancer le débat. Si c’est le cas, si mon film pouvait faire ça, il transcenderait sa vocation artistique".
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"On croit que les nénuphars n'ont pas de racines, mais ils en ont. Ils ne survivraient pas sinon" (Linh-Dan Pham)
(États-Unis, 1h58)
Réalisation: Justin Chon
Avec Justin Chon, Alicia Vikander, Linh-Dan Pham
(Sortie le 15 septembre 2021)
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