JOUER AVEC LE FEU

Mon fils, ce facho

Pierre (Vincent Lindon) aime pareillement ses deux fils, qui n'ont pas tous les deux les mêmes fréquentations et les mêmes opinions politiques (©Felicita/Curiosa Films/France-3 Cinéma).
Pierre (Vincent Lindon) aime pareillement ses deux fils, qui n'ont pas tous les deux les mêmes fréquentations et les mêmes opinions politiques (©Felicita/Curiosa Films/France-3 Cinéma).

Vincent Lindon est un acteur hors du commun. Il le prouve une nouvelle fois –si besoin était– dans le film JOUER AVEC LE FEU (ce mercredi 22 janvier sur les écrans), dans lequel il interprète un père de famille désemparé quand il découvre que son fils aîné fricote avec les milieux d'extrême-droite.

Après le décès de sa femme plusieurs années auparavant, Pierre élève seul ses deux fils de 20 et 22 ans, Louis (Stefan Crepon) et Fus (Benjamin Voisin). Le cadet fait des études brillantes et s'apprête à rentrer à la Sorbonne. L'aîné est dans un IUT pour devenir métallurgiste et joue régulièrement au foot.

Mauvaises fréquentations

Les deux frères s'adorent et adorent leur père, la petite famille vit harmonieusement sous le même toit, dans une maison en Lorraine. Jusqu'au jour où Pierre apprend que Fus a de mauvaises fréquentations: ses principaux amis, rencontrés dans les tribunes du club de foot local ou dans des réunions de MMA, sont des activistes d'extrême-droite purs et durs.

Pierre, qui travaille de nuit sur les voies ferrées, a été jadis militant syndical à la SNCF mais ne milite plus. Il se demande comment et pourquoi son fils aîné a fait ces choix à l'opposé de ses convictions à lui, de l'éducation qu'il a donnée pareillement à ses deux fils, des valeurs humanistes qu'il leur a inculquées. "Je me sens trahi", dit-il à Fus…

Quatrième film

C'est le quatrième film des sœurs Delphine et Muriel Coulin, adapté d'un roman de Laurent Petitmangin paru en 2020, Ce qu'il faut de nuit (Ed. La Manufacture de livres). "Le roman pose une question sur laquelle nous avions envie de travailler: l’amour est-il forcément inconditionnel? Si tu commettais le pire, pourrais-je continuer à t’aimer?", dit Delphine Coulin. "Est-ce qu’aimer, ce n’est pas justement tout accepter, même le pire?", ajoute sa sœur Muriel.

Car les deux coréalisatrices n'ont pas voulu faire un film militant, elles abordent à peine les causes et les circonstances de l'adhésion du fils aîné aux idées d'extrême-droite: elles ont préféré mettre l'accent sur les relations familiales, entre père et fils, entre frères. Ce sont, explique Muriel Coulin, "trois hommes unis par quelque chose de très dur, la disparition de la mère. Et qui cherchent à continuer à faire famille malgré tout. Ils ne se résignent jamais à se perdre".

Séquences intimistes

Les scènes collectives (les matches de foot, les séances de MMA, des scènes de danse, les actions des militants) laissent ainsi souvent la place à des séquences intimistes, aux dialogues entre les trois: des interrogations et incompréhensions mais aussi des joies communes (quand tous trois assistent à un match de foot, dansent dans leur jardin lors d'une fête entre amis).

"À quel moment on ne reconnaît plus quelqu’un qu’on croit connaître parce que ses idées deviennent indéfendables?", s'interroge Muriel Coulin. "Ce sont des questions qui ne sont pas très souvent abordées au cinéma, alors qu’elles sont omniprésentes dans nos vies".

Deux jeunes acteurs talentueux

Pour réussir cette description d'un trio familial soudain bouleversé, les deux coréalisatrices ont bénéficié de l'interprétation de deux jeunes acteurs talentueux, Benjamin Voisin et Stefan Crepon, au jeu très juste, très crédibles, complices dans le film comme dans la vie.

Mais c'est bien sûr Vincent Lindon qui attire toute l'attention, armé à la fois d'une force de conviction rare et d'une fragilité attachante. Il dégage une authenticité qu'on lui connaît dans des rôles où ses personnages se débattent contre les injustices d'un monde économique et social impitoyable, comme les trois films qu'il a tournés sous la direction de Stéphane Brizé: LA LOI DU MARCHÉ en 2015 (qui lui vaut le Prix d'interprétation à Cannes et le César du meilleur acteur, à sa 6e nomination), EN GUERRE en 2018, UN AUTRE MONDE en 2022.

Prix d'interprétation

JOUER AVEC LE FEU lui a valu le Prix d'interprétation au dernier Festival de Venise, nouvelle récompense parmi celles qui s'accumulent depuis une dizaine d'années, après une longue carrière (il a 65 ans) au cours de laquelle il avait été un peu boudé par les milieux du cinéma. Dans ce film fort et attachant, il ressemble à ce qu'il est dans la vie: ponctuel, poli, calme, humaniste, généreux, attentif à l'éducation de ses enfants (il a un fils de 29 ans et une fille de 25 ans) –un portrait esquissé dans un récent entretien avec Laurent Delahousse pour 20h30 le dimanche sur France-2 (à voir ou revoir ici).

Il ne peut faire plus véridique, plus vrai, plus crédible que dans ce personnage de père désorienté, gagné par l'incompréhension et le doute. À un moment, à son second fils Louis qui lui dit "Ne t'inquiète pas", il répond: "Je ne veux plus entendre cette phrase. Je m'inquiète, c'est comme ça. C'est pour toute la vie".

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Quand on dit «C'est pas politique», c'est là qu'il faut commencer à s'inquiéter" (Vincent Lindon, à son fils).

 

Jouer avec le feu

(France, 1h58)

Réalisation: Delphine et Muriel Coulin

Avec Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon

(Sortie le 22 janvier 2025)


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