L'amour ouf ouf
De Week-end À Zuydcoote à L'AMANT, des RACINES DU CIEL à AU-REVOIR LÀ-HAUT, le cinéma a souvent adapté les Prix Goncourt, avec succès. Nouvel exemple avec LEURS ENFANTS APRÈS EUX, le roman de Nicolas Mathieu Prix Goncourt 2018 (Ed. Actes Sud), porté à l'écran dans un film empreint de nostalgie romantique et de fureur de vivre adolescente (ce mercredi 4 décembre dans les salles).
Août 1992. Dans une vallée perdue de l’est de la France où les hauts-fourneaux ne brûlent plus, Anthony, 14 ans, s’ennuie ferme avec son cousin. Un après-midi de canicule au bord du lac, il rencontre Stéphanie (Angelina Woreth), fille d'une ville voisine, d'un milieu plus aisé que le sien.
Le coup de foudre est immédiat. Le soir même, pour se rendre à une soirée où il espère la retrouver, il emprunte secrètement la moto de son père qui dort dans le garage depuis des années. Lorsque, le lendemain matin, il s’aperçoit que la moto a disparu, sa vie bascule…
Frères jumeaux
Le livre de Nicolas Mathieu a été adapté par les jeunes réalisateurs jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma, remarqués récemment par leur film fantastique TEDDY (2020) et leur comédie L'AnnÉe du requin (2022), tous deux baignant dans un humour décalé.
Pas trop d'humour ici mais un film qui, dans un souffle romantique, décrit une jeunesse désoeuvrée, qui s'ennuie mais recherche l'amour, l'évasion, les sensations fortes, dans une région touchée par la désindustrialisation dans les années 90.
Gros succès public
Le livre a été un gros succès public (700.000 exemplaires) et Nicolas Mathieu est satisfait de sa transposition au grand écran: "Je n’avais pas spécialement envie que l’adaptation soit fidèle au livre dans ses détails. Dès le départ, j’ai espéré que les frères Boukherma y mettraient beaucoup de cinéma, et s’en émanciperaient en partie. Mais sur ces aspects-là, qui sont politiques et esthétiques, j’espérais que leur travail suivrait l’ambition du bouquin. Et c’est bien ce que réalise ce film, sur plus de deux heures, en se donnant du souffle, de l’ambition".
L'histoire est racontée en quatre chapitres sur quatre étés (1992, 1994, 1996, 1998), avec à chaque fois les retrouvailles, plus ou moins heureuses, entre Anthony et Stéphanie. Les réalisateurs ont aussi donné une jolie place aux seconds rôles: le père d'Anthony, colérique et alcoolique mais attachant (Gilles Lellouche); sa mère aimante et courageuse (Ludivine Sagnier); le petit caïd local auquel il va se frotter (Sayyid El Alami).
Décors naturels
Les frères Boukherma ont tourné dans des décors naturels (les petites villes, le lac, la forêt, les hauts-fourneaux désaffectés) mais sans insister sur le côté réaliste, sans chercher le naturalisme. "Il était impératif de ne pas tomber dans un hommage fétichiste aux années 90, ni de créer un film nostalgique qui idéaliserait trop cette période", explique Ludovic Boukherma. "Le roman possède un naturalisme que nous avons choisi d'éviter. Pas de caméra à l'épaule trop brute, mais un film avec de la musique, des travelings, des plans-séquences et surtout, une dimension très romantique".
Le livre parle de différences de classes sociales, de chômage, de xénophobie, de délinquance, de liens familiaux et de rêves adolescents inassouvis, mais le film se veut plus romantique. "Le roman aborde la question du déterminisme social de manière très réaliste. Nous souhaitions au contraire insuffler à cette histoire un véritable univers de fiction. Nous voulions que la mise en scène et la réalisation évoquent davantage le cinéma américain que le cinéma naturaliste français", dit Zoran Boukherma.
L'amour ouf
Inévitablement LEURS ENFANTS APRÈS EUX, inégal mais attachant, fait penser au récent L'AMOUR OUF de Gilles Lellouche, qui interprète ici un des rôles principaux et qui a songé, un temps, adapter le livre au cinéma. Les deux films ont été financés par les mêmes sociétés de production (Chi-Fou-Mi Productions et Trésor Films), parlent de l'amour de deux adolescents qui se perdent de vue et se retrouvent, mélangent la passion et la violence, évoquent les différences sociales, sont situés dans les années 80 ou 90, et surtout sont accompagnés musicalement de tubes de l'époque.
L'une des scènes les plus touchantes est d'ailleurs, vers la fin du film, un slow entre Anthony et Stéphanie sur la chanson Un samedi soir sur la Terre, de Francis Cabrel, dont une phrase du refrain pourrait résumer le film: "C'est une histoire d'enfant/ Une histoire ordinaire".
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"On s'emmerde" (Anthony, au début du film).
(France, 1h54)
Réalisation: Ludovic et Zoran Boukherma
Avec Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami
(Sortie le 4 décembre 2024)