J'ai deux amis qui sont aussi mes amoureux
C'est une douce romance chinoise, deux jeunes hommes amoureux d'une même jeune femme, une histoire simple sur fond de paysages enneigés: UN HIVER À YANJI (ce mercredi 22 novembre sur les écrans) dresse le portrait d'une jeunesse moderne pas encore désabusée, romantique mais lucide.
Le film se déroule en hiver à Yanji, une petite ville du nord-est de la Chine, près de la frontière avec la Corée du Nord. Nana (Zhou Dongyu), comme la moitié de la population, est d'origine coréenne et est guide touristique depuis trois ans. Délurée, libre, joyeuse, espiègle, cette ancienne patineuse a coupé les ponts avec sa famille et ses copines et a parfois du vague à l'âme.
Venu de Shanghai pour un mariage, Haofeng (Liu Haoran) travaille dans la finance. Un peu perdu, vaguement suicidaire, il a volontairement raté ses dernières séances de psychothérapie. Et lui aussi semble chercher un sens à sa vie d'adulte qui commence.
Vivre sa vie au présent
Il participe à une excursion touristique et fait ainsi la connaissance de Nana, qui l'invite ensuite à dîner dans un restaurant-karaoké, en compagnie de son ami Xiao (Qu Chuxiao). Celui-ci, cuisinier dans le restaurant de sa tante, n'a jamais quitté la ville et, contrairement aux deux autres –en apparence–, ne se pose pas trop de questions, assurant qu'il faut vivre sa vie au présent.
Les trois jeunes gens passent une bonne soirée et Nana les héberge pour la nuit. Mais le lendemain matin, Haofeng rate son avion. Il reste donc pour quelques jours supplémentaires, et va se lier d'amitié avec les deux autres…
Triangle amoureux
Triangle amoureux classique? Pas tout à fait: si Nana tombe sous le charme du nouveau venu Haofeng, ce n'est pas le cas avec son ami Xiao, amoureux transi dont les avances à l'égard de la jeune femme restent sans succès depuis longtemps.
"J’ai toujours aimé Jules et Jim de François Truffaut et lorsque j’ai eu l’idée de faire ce film sur des jeunes gens se déroulant sur quelques jours seulement, je savais que, comme dans JULES ET JIM, il s’agirait d’un trio composé de deux hommes et d’une femme", explique ainsi le réalisateur, Anthony Chen. "Mais pour moi, il était important qu’il ne s’agisse pas d’un triangle amoureux typique avec deux hommes tombant amoureux de la même femme, je voulais établir une certaine forme d’ambiguïté et de complexité dans leurs relations".
Festival de Cannes
Anthony Chen, de nationalité singapourienne, âgé de 39 ans, n'est pas un inconnu des cinéphiles: en 2013 il avait remporté, au Festival de Cannes, la Caméra d'or du meilleur premier film pour ILO ILO. Présenté également à Cannes en mai dernier dans la section Un Certain Regard, sélection officielle parallèle du Festival, UN HIVER À YANJI est son 5e film, et le premier tourné en Chine, en langues chinoise et coréenne.
"UN HIVER À YANJI est né d’un désir fort et d’une envie très spontanée, après deux années de confinement chez moi pendant la pandémie, où j’ai traversé une véritable crise existentielle", explique le réalisateur. "Je souhaitais me libérer de mes habitudes et je me suis mis au défi de faire un film en dehors de ma zone de confort. Je me suis donc forcé à faire un film dans un pays, un terrain et un climat qui ne m’étaient pas familiers. Je voulais capturer l’esprit de la génération actuelle des jeunes Chinois dont j’avais beaucoup entendu parler".
Personnages attachants
Les trois personnages (et les trois acteurs qui les interprètent) sont attachants. Sans rebondissements ni coups d'éclat –malgré une balade dangereuse dans la forêt enneigée du Mont Changbai, dans le nord-est de la Chine–, cette histoire simple et romantique séduit, avec son balancement entre amour et amitié, les interrogations des jeunes adultes, leurs désirs endormis qui vont se dégeler peu à peu.
Rivières et lacs gelés, paysages enneigés, montagnes, frontière avec la Corée du Nord, lumières de la ville, immeubles, restaurants et boîtes de nuit, parcs, zoo: les images, variées, créent une ambiance singulière, loin de Shanghai et de Pékin. Mais le film se veut plus globalement "une lettre d’amour aux jeunes Chinois", dit Anthony Chen, qui raconte avec délicatesse et réalisme cette jolie histoire intimiste de trio amoureux.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Que celui qui m'abandonne ne puisse marcher 10 lieues sans que ses jambes souffrent" (chanson coréenne, vers la fin du film).
("Ran Diong"/"The Breaking Ice") (Chine, 1h37)
Réalisation: Anthony Chen
Avec Zhou Dongyu, Liu Haoran, Qu Chuxiao
(Sortie le 22 novembre 2023)
Retrouvez cet article, ainsi que l'ensemble de l'actualité culturelle (musique, théâtre, festivals, littérature, évasion)
sur le site