Les zones d'ombre de Katrine, enfant du Lebensborn
Dans la lignée de LA VIE DES AUTRES (2006), réalisé par son compatriote allemand Florian Henckel von Donnersmarck, Georg Mass relate, à travers D'UNE VIE À L'AUTRE, une passionnante histoire dans
laquelle il est notamment question d'espionnage et de Stasi.
Katrine (Juliane Köhler) est une enfant du Lebensborn, ce programme des nazis dont l'objectif était d'augmenter le nombre d'enfants "aryens" en recueillant dans des foyers des nouveau-nés non désirés, fruits de
liaisons entre des filles-mères et des soldats allemands pendant la Seconde guerre mondiale.
Née d'une mère norvégienne et d'un soldat allemand, Katrine a ainsi grandi dans un orphelinat en Allemagne, avant de parvenir à quitter la RDA pour rejoindre sa mère, Ase (Liv Ullmann), en
Norvège, dans les années 1970.
Katrine se marie, donne naissance à une fille, trouve un travail et semble mener une vie normale jusqu'au jour où, en 1990, un avocat lui demande de témoigner dans un procès contre l'Etat
norvégien au nom des "enfants de la honte" dont elle fait partie.
Mais Katrine refuse dans un premier temps, suscitant la stupéfaction de ses proches. Veut-elle, comme elle le prétend, définitivement tirer un trait sur son passé? Ou cache-t-elle des secrets
inavouables liés au rôle de la Stasi, les services secrets de la RDA, sur le destin des enfants du Lebensborn?...
En s'inspirant d'un roman d'Hannelore Hippe, et en se basant sur des faits réels, Georg Mass, dont c'est le deuxième long-métrage après NEW FOUND LAND (2003), a bâti son récit comme un thriller.
On va de rebondissement en rebondissement, en s'interrogeant sur la véritable identité de Katrine et sur son passé.
"L'idée du roman m'a fasciné", raconte Georg Mass lors d'un entretien accordé dans un hôtel parisien. "Pour moi, un des principaux thèmes, c'est de ne pas juger trop facilement une personne. On
veut que le public s'identifie avec le personnage. On a cherché un équilibre entre le drame familial et le thriller. Mais c'est le thriller qui pousse l'histoire", souligne le réalisateur, dont
le film représentait cette année l'Allemagne dans la course aux Oscars.
La distribution est impeccable, emmenée par l'Allemande Juliane Köhler et la Norvégienne Liv Ullmann, connue pour avoir
longtemps travaillé avec Ingmar Bergman (PERSONA, SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE, SONATE D'AUTOMNE, SARABAND...)
Georg Mass a apprécié la simplicité de l'actrice, qui habite aujourd'hui aux Etats-Unis. "Elle est très amicale. Elle disait, «je ne veux pas avoir un chauffeur personnel». Elle a fait des
blagues pendant le tournage, et ils ont formé une petite famille d'acteurs. Elle a une très forte intuition, elle comprend ce qu'il faut faire", confie-t-il dans un français presque
parfait.
Le film a été tourné en Allemagne et en Norvège. Il est d'ailleurs déjà sorti dans ces deux pays, en septembre 2013 en Allemagne, et en octobre 2012 en Norvège. "En Allemagne, le film a bien
fonctionné, mais pas tellement bien en Norvège. Je crois que là-bas, les gens ont hésité à aller le voir parce qu'il touche une partie de leur histoire qui n'est pas tellement bonne", note le
réalisateur.
Entre 10.000 et 12.000 enfants sont nés de liaisons entre des soldats allemands et des femmes norvégiennes pendant l'occupation allemande en Norvège de 1940 à 1945. Considérés souvent comme des
"enfants de la honte", la plupart ont grandi dans des foyers en Norvège, alors qu'environ 250 ont été transportés avant la fin de la guerre en Allemagne.
Une histoire souvent méconnue dont Georg Mass a tiré un scénario très élaboré. Il nous rappelle, à travers un thriller captivant, des événements marquants de l'Europe du XXe siècle.
Pierre-Yves Roger
LA PHRASE
"Faut-il toujours dire la vérité? Ne vaut-il pas mieux garder le silence plutôt que de déclencher une catastrophe?" (Katrine, qui semble cacher de lourds
secrets).
D'UNE VIE À L'AUTRE
(''Zwei Leben'') (Allemagne, 1h37)
Réalisation: Georg Maas
Avec Juliane Köhler, Liv Ullmann, Sven Nordin
(Sortie le 7 mai 2014)