Portrait d'une diva flamboyante et tourmentée
Elle fut, selon un sondage de 2001, la chanteuse française qui, à égalité avec Edith Piaf, a le plus marqué le siècle dernier. Quatre mois avant le 30e anniversaire de sa mort, Dalida fait l'objet d'un biopic, classique mais réussi, réalisé par Lisa Azuelos.
De sa naissance au Caire en 1933 à son suicide le 3 mai 1987 à Paris à l'âge de 54 ans, on suit le parcours d'une femme moderne, en avance sur son temps, flamboyante mais terriblement tourmentée, seule, malheureuse.
Son premier Olympia en 1956, son mariage avec Lucien Morisse le patron de la jeune station de radio Europe-1, sa première tentative de suicide en 1967, ses succès au fil des ans, son déclin puis son renouveau à la fin des années 70, sa période disco et son dernier show triomphal au Palais des sports en 1980, son dernier rôle au cinéma dans LE SIXIÈME JOUR de Youssef Chahine en 1986: par des flashbacks, on passe en revue la carrière d'une chanteuse d'exception.
Mais c'est sa vie privée, ses amours malheureuses, sa solitude et son désespoir sur lesquels la réalisatrice a insisté. Outre son mari Lucien Morisse (Jean-Paul Rouvre), le film rappelle les hommes qui ont marqué sa vie: son petit frère Orlando (Riccardo Scarmarcio, épatant) qui a veillé sur elle toute sa vie, Eddie Barclay (Vincent Perez) et le directeur de l'Olympia Bruno Coquatrix (Patrick Timsit) qui lancèrent sa carrière, et ses principaux amants, du peintre Jean Sobieski au début des années 60 à Richard Chanfray, le comte de Saint-Germain (Nicolas Duvauchelle, bluffant) qui fut son dernier compagnon de 1972 à 1981, en passant par le chanteur italien Luigi Tengo à cause duquel elle tenta de se suicider en 1967.
C'est l'actrice italienne Sveva Alviti, 32 ans, jusque-là inconnue du grand public, qui a été retenue pour interpréter Dalida, et c'est une réussite totale. On croit voir sur l'écran la silhouette longiligne, la grande bouche, les yeux en amandes, les mains fines, les bras interminables, la chevelure de feu de la vraie diva. L'actrice est aussi impressionnante dans les scènes intimistes que dans les playbacks des principaux tubes de la chanteuse égrenés au fil de l'histoire: de Bambino à Laissez-moi danser en passant par Besame Mucho à la mode disco et les reprises de Je suis malade de Serge Lama ou Avec le temps de Léo Ferré.
C'est l'une des autres réussites du film: l'insertion dans le film, à intervalles réguliers, de ces chansons les plus célèbres, interprétées en playback par Sveva Alviti ou en bande-son sur certaines scènes: Paroles, paroles quand Dalida rencontre le playboy-charlatan Richard Chanfray en 1972, ou Il venait d'avoir 18 ans pour illustrer son histoire d'amour avec un jeune Italien, Lucio, à la fin des années 60. Il avait 22 ans, elle 34 quand elle est tombée enceinte de lui et a avorté, elle qui regrettera toute sa vie de n'avoir pas eu d'enfant.
Ce biopic DALIDA a bien sûr une origine commerciale, puisque le 3 mai marquera le 30e anniversaire de son suicide; une origine sentimentale et personnelle, puisque son frère Orlando (Bruno de son vrai prénom), 80 ans aujourd'hui, avait ce projet depuis 5 ans, avec les responsables du site officiel de la chanteuse; et une origine artistique, puisque Lisa Azuelos a été séduite par l'aventure: "À dire vrai, je n’étais pas particulièrement fan de Dalida avant de commencer à travailler sur elle. On me l’a en quelque sorte mise sous le nez lorsqu’on m’a proposé le projet! Dès que j’ai commencé à me documenter sur elle, j’ai senti une émotion très forte, et qui n’a fait que croître".
Fille de Marie Laforêt, remarquée dès ses premiers films COMME T'Y ES BELLE! en 2006 (avec Michèle Laroque, Aure Atika et Valérie Benguigui) et LOL en 2009 (avec Sophie Marceau et Christa Théret), la réalisatrice explique que "Dalida n’est pas qu’une femme de records –artiste française la plus récompensée du show business, 170 millions de disques vendus, 2.000 chansons enregistrées, 70 disques d’or, etc.–, c’est un personnage hors du commun. Tous les gens célèbres n’ont pas eu un destin. Elle, si".
Lisa Azuelos a fait le pari de faire un vrai biopic, c'est-à-dire de raconter toute la vie de la chanteuse et pas seulement un moment particulier de son existence ou de sa carrière. Pas facile en deux heures, et au début les raccourcis, les flashbacks et les artifices de réalisation (témoignages de différents personnages qui racontent des souvenirs au psychiatre de Dalida) font apparaître pas mal de clichés et de dialogues un peu trop écrits. Mais au fil du film la narration devient plus fluide, l'émotion et la mélancolie gagnent peu à peu, c'est de la belle ouvrage et les différents tubes bien placés raviveront des souvenirs nostalgiques chez les spectateurs de plus de 40 ans –davantage sans doute que chez le public plus jeune nourri aux fadaises musicales du XXIe siècle.
Surtout, la réalisatrice, en accord avec Orlando qui a fait de ce film le "biopic autorisé" sur Dalida, a voulu expliquer, excuser, justifier ce suicide du 3 mai 1987 et ce simple mot laissé, en guise d’adieu, sur la table de nuit: "La vie m’est insupportable. Pardonnez-moi".
"Sa gloire a été à la hauteur de son immense solitude. Très vite, j’ai su qu’il fallait raconter non pas l’histoire d’une femme tout court mais l’histoire d’une femme qui n’arrive pas à être heureuse", explique-t-elle. "Je voulais donner l’extrême-onction à Dalida. Qu’on la comprenne, que l’on excuse son geste final. Sa malchance a été d’être une femme moderne dans une époque qui ne l’était pas!"
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Vous savez ce qu'il y a de plus dur quand on est entre la vie et la mort? C'est de choisir la vie. La mort, c'est doux" (Dalida à son psy, après sa première tentative de suicide en 1967).
(France, 2h04)
Réalisation: Lisa Azuelos
Avec Sveva Alviti, Riccardo Scamarcio, Jean-Paul Rouve
(Sortie le 11 janvier 2017)