Lambert Wilson en général
Lambert Wilson est un caméléon. Après avoir incarné au cinéma l'abbé Pierre (HIVER 54, 1989) et le commandant Cousteau (L'ODYSSÉE, 2016), le voici dans le film DE GAULLE dans le rôle du chef de la France libre et fondateur de la Ve République.
Le cinéma français s'est bizarrement peu intéressé au général de Gaulle: quatre téléfilms mais aucun long-métrage de cinéma. Ce DE GAULLE est donc le premier sur grand écran mais n'est pas un biopic, il se limite à la période de trois mois, entre avril et juin 1940, où le destin du général –et de la France– a basculé.
Le réalisateur, Gabriel Le Bomin, explique que la question a rapidement été réglée avec sa scénariste Valérie Ranson-Enguiale: "Nous sommes vite tombés d’accord sur le fait que nous ne pouvions pas raconter toute sa vie car il y a plusieurs De Gaulle en un. Alors, par où l’aborder? Ce qui nous a intéressé, c’est le De Gaulle «illégitime»: l’homme de juin 1940, celui qui dit «non». C’est sans doute le moment de sa vie où il est le plus fragile, le plus intéressant donc le plus humain… Car sous-tendu à ce projet, il y avait l’ambition d’accéder à l’intime".
Le film raconte donc ces semaines du printemps 1940 où la guerre s’intensifie, où l’armée française s’effondre, où les Allemands s'avancent vers Paris et où la panique gagne le gouvernement. Fraîchement promu général, De Gaulle entre au gouvernement de Paul Reynaud comme sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale. C'est la fin de sa carrière militaire et le début de sa carrière politique.
De Gaulle multiplie les allers-retours à Londres et les rencontres avec Winston Churchill pour tenter de trouver une riposte à l'envahisseur allemand. Mais quand le maréchal Pétain, qui a pris la succession de Paul Reynaud, annonce la capitulation de la France, De Gaulle décide de rester à Londres, y lance son fameux appel du 18 juin et appelle à la résistance.
Le film montre autour de De Gaulle le soutien de Georges Mandel (Gilles Cohen) alors ministre de l'Intérieur, les hésitations du président du Conseil Paul Reynaud (Olivier Gourmet) influencé par sa maîtresse Hélène de Portes (Philippine Leroy-Beaulieu), l'intransigeance de son successeur le maréchal Pétain (Philippe Laudenbach), et à Londres le rôle primordial joué par Winston Churchill (Tim Hudson). Tout cela est filmé de manière classique, sur un ton parfois très explicatif, avec des dialogues un peu empesés: quand un personnage s'adresse à un autre, il cite son nom pour que le spectateur l'identifie.
Tout ce contexte historique est connu. Ce qui l'est moins, et c'est l'autre aspect du film –le principal, et le plus intéressant–, c'est le De Gaulle familial et notamment sa relation intime avec sa femme Yvonne, restée discrète, qui n'a jamais donné aucune interview, souvent caricaturée, et à laquelle le film donne une grande place, sous les traits d'Isabelle Carré.
Durant ces quelques semaines, elle quitte la maison familiale de la Boisserie à Colombey-les-Deux-Eglises en Haute-Marne avec leurs trois enfants (Philippe, 18 ans, Elisabeth, 16 ans, Anne, 12 ans) pour se réfugier chez sa soeur dans le Loiret avant de partir vers la Bretagne à Carantec puis à Brest où elle tente de monter à bord d’un bateau pour l’Angleterre… Sur les routes de l'exode, séparée de son mari, elle n'a aucune nouvelle de lui –et lui non plus. Quand Charles part à Londres le 17 juin, Yvonne l’ignore… Et, "nous le montrons dans le film, c’est en lisant un journal anglais qu’elle apprendra que son mari a lancé son fameux appel sur les ondes de la BBC! C’est un vrai cadeau de l’Histoire pour des scénaristes…", dit Gabriel Le Bomin.
Le réalisateur filme des déjeuners familiaux à Colombey, montre une Yvonne de Gaulle vive et passionnée, imagine des scènes intimes entre elle et son mari, et notamment des moments passés avec leur fille Anne, trisomique, qui mourra d'une pneumonie en 1948 à 20 ans (voir ici la photo célèbre de De Gaulle tenant Anne dans ses bras sur une plage de Bretagne en 1933).
"Oui, le film est l’histoire d’un couple", explique le réalisateur. "Yvonne et Charles de Gaulle avaient une relation forte, très construite et on le voit bien dans les lettres qu’ils s’échangent à cette époque ou dans ses Mémoires de guerre, qu’il lui dédie «pour vous Yvonne, sans qui rien ne se serait fait». Yvonne est très présente dans les choix qu’il fait, notamment dans ces moments où il est fragile".
C'est le quatrième long-métrage de fiction de Gabriel Le Bomin, connu pour ses documentaires historiques et politiques sur la collaboration, la guerre d’Algérie ou la Ve République, après avoir intégré dans sa jeunesse le Service cinématographique des armées. Il précise ne pas avoir demandé l'autorisation aux héritiers de De Gaulle pour réaliser son projet: "Le film ne devait pas être une hagiographie ou se placer sur une tutelle quelconque, qu’elle soit familiale ou institutionnelle (…). Nous ne sommes donc pas allés voir la Fondation Charles de Gaulle ou la famille De Gaulle. Mais nous les avons informés dès le début en prenant contact avec les petits-enfants, Yves de Gaulle et Anne de La Roullière".
Restait à trouver l'interprète du "grand Charles". Ce fut Lambert Wilson, qui a passé pendant le tournage trois heures et demie quotidiennes pour le maquillage, la pose de prothèses, la coiffure et l'habillage, mais a voulu éviter une stricte imitation. "Nous en avons beaucoup parlé avec Lambert Wilson, avec cette volonté de ne rien surcharger", raconte le réalisateur. "Il fallait lui donner tous les atouts pour incarner De Gaulle (le costume, le maquillage, les prothèses, etc.), mais je voulais que le comédien reste présent. Je ne voulais pas avoir l’impression de filmer le musée Grévin!"
Lambert Wilson (vu récemment dans LES TRADUCTEURS, et qui a joué un capitaine de frégate dans VOLONTAIRE en 2018) a notamment évité d'essayer d'imiter le timbre de voix du général. "Pour être honnête, j’avoue que nous avons pensé à le faire au début", explique l'acteur. "Mais avec Gabriel nous nous sommes dit que, dans des moments intimes ou quotidiens, De Gaulle ne pouvait pas utiliser un ton grandiloquent. C’était un tribun exceptionnel qui s’adressait à des foules et qui, à l’époque du film, commence à trouver ce ton-là notamment lors de ses interventions à la BBC. Mais c’est un timbre très daté qui était forcément différent quand il était avec les siens. (…) J’ai fini par comprendre qu’essayer de trop coller à la voix de De Gaulle apporterait une théâtralité qui pouvait être dangereuse et créer une distance avec le personnage".
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Rien ne compte plus que ceci: il faut sauver la France" (lettre de De Gaulle à sa femme Yvonne, en mai 1940).
(France, 1h48)
Réalisation: Gabriel Le Bomin
Avec Lambert Wilson, Isabelle Carré, Olivier Gourmet
(Sortie le 4 mars 2020)