EMMETT TILL
L'histoire vraie d'un crime raciste dans le Mississippi des années 50
C'était un adolescent de 14 ans, assassiné dans l'État du Mississippi en 1955. Son nom évoque l'un des épisodes les plus marquants du racisme aux États-Unis et de la lutte des Noirs pour les droits civiques. Le film EMMETT TILL, sur les écrans français ce mercredi 8 février, raconte son histoire et surtout celle de sa mère, qui se battit pour que ce crime ne tombe jamais dans l'oubli.
En août 1955, Emmett Till (Jalyn Hall) a 14 ans et vit tranquillement à Chicago avec sa grand-mère et sa mère Mamie (Danielle Deadwyler), 33 ans, seule femme noire de la ville travaillant pour l'US Air Force et dont les parents ont quitté le Mississippi quand elle était enfant. La jeune femme est veuve (son mari est mort en Europe pendant la guerre) mais n'a pas de soucis financiers: bel appartement, voiture moderne, train de vie aisé.
Mauvais pressentiment
Emmett a mis son plus beau costume, des chaussures rutilantes, une cravate chic, des boutons de manchettes et une montre de luxe quand sa mère le conduit à la gare: accompagné de son oncle pasteur, de sa tante et d'un cousin, l'adolescent va rendre visite à ses autres cousins et oncles dans le Mississippi, l'un des États du sud du pays réputé pour être historiquement un bastion des ségrégationnistes.
Sa mère a un mauvais pressentiment. "Ils ont des règles différentes pour les Noirs, là-bas (…). Fais-toi tout petit le temps que tu y seras", lui dit-elle. Ses craintes seront justifiées: Emmett sera enlevé par deux Blancs, torturé, tué. Son corps mutilé sera retrouvé dans une rivière.
Accusé d'avoir sifflé une femme blanche
La raison de cet assassinat? Dans la petite ville de Money, l'adolescent s'est permis de siffler la propriétaire (blanche) d'une épicerie principalement fréquentée par des Noirs, après lui avoir dit: "Vous ressemblez à une vedette de cinéma". À Chicago un garçon de couleur pouvait peut-être faire cela, mais pas dans le Mississippi des années 50.
Brisée par l'émotion après cet assassinat, Mamie Till-Mobley décidera de rendre publiques les traces de torture infligées à son enfant par les meurtriers. "Le monde entier doit voir ce qu'on a fait à mon fils (…). Personne ne voudra croire ce que j'ai vu. Il faut que les gens voient de leurs propres yeux", dira-t-elle en refusant que le croque-mort maquille les blessures de son fils et en exigeant que le cercueil reste ouvert lors des obsèques, à la vue de tous…
Militante active
C'est le troisième long-métrage de la réalisatrice Chinonye Chukwu (les deux premiers, ALASKALAND en 2012 et CLEMENCY en 2019, ne sont pas sortis en France). Elle a décidé de ne pas montrer l'assassinat lui-même, mais les journées avant et après le drame. "Le vrai sujet du film n’est pas la violence aveugle subie par Emmett –et c’est la raison pour laquelle j’ai refusé de la représenter à l’image–, mais le parcours extraordinaire de Mamie après le drame", explique-t-elle.
Car après la mort de son fils, et jusqu'à son décès en 2003 (à Chicago, pas dans le Mississippi) à l'âge de 81 ans, Mamie Till-Mobley s'engagera dans le mouvement des droits civiques et deviendra une militante active pour la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), principale organisation de défense des Noirs.
Le fond plutôt que la forme
"Sans Mamie, le parcours de son fils se serait volatilisé", estime la réalisatrice. "Elle a joué un rôle décisif dans l’élaboration d’un mouvement pour les droits civiques moderne qui a mis en place un cadre extraordinaire pour les futurs militants et combattants pour la liberté. J’ai eu envie de défendre l’héritage de Mamie et de la mettre en valeur comme elle le mérite".
Le film privilégie le fond, bouleversant, à la forme, banale: dès le début cela n'avance pas vite, la réalisatrice laisse l'ambiance paresseusement s'installer dans la première demi-heure et décrit la famille d'Emmett Till. Ensuite il y aura de nombreuses scènes d'émotion, notamment quand Mamie apprend la mort de son fils, quand elle reconnaît le corps à la morgue, quand elle voit le cercueil.
Bande-son un peu lourde
La réalisatrice fait ensuite basculer le film, dans sa deuxième heure, vers son aspect plus politico-historique et notamment le procès des deux assassins. Mais le mélo continue quand même, avec une bande-son un peu lourde. Le film dure 2h12 et n'aurait sans doute pas souffert de faire une demi-heure de moins.
Mais si la réalisation est trop classique et sans surprise, le film est rehaussé par l'interprétation, dense et poignante, de l'actrice Danielle Deadwyler, omniprésente du début à la fin.
Force du récit
Cet EMMETT TILL vaut donc pour la force de son récit, une histoire vraie bouleversante qui a marqué la société américaine. "Quand on est noir, on a forcément entendu parler de cette affaire. Et si on a des frères et des sœurs, on en a aussi entendu parler. Elle suscite un débat, puis un deuxième et un troisième, etc.", témoigne ainsi Whoopi Goldberg, qui interprète le rôle d'Alma Carthan, la mère de Mamie, et a également été à l'initiative du film, qu'elle a co-produit.
En ce 28 août 1955, dans la petite ville de Money dans le Mississippi, le racisme ordinaire a fait un mort, un adolescent de 14 ans. Près de 67 ans plus tard, en mars 2022, le Congrès américain a donné son approbation finale à une loi qui, pour la première fois, fait du lynchage un crime fédéral aux États-Unis. La loi porte le nom d'Emmett Till.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Soit c'est la liberté pour tous, soit la liberté est une illusion" (Mamie Till-Mobley).
("Till") (États-Unis, 2h12)
Réalisation: Chinonye Chukwu
Avec Danielle Deadwyler, Jalyn Hall, Whoopi Goldberg
(Sortie le 8 février 2023)
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