Se souvenir des belles choses
Si vous avez l'intention de rire et de vous détendre au cinéma après 28 semaines de fermeture des salles, ce n'est peut-être pas ce film qui convient. FALLING, premier long-métrage réalisé par l'acteur danois Viggo Mortensen, qui sort ce mercredi 19 mai, est un film grave et âpre, émouvant, éprouvant, qui décrit l'amour d'un fils pour son père atteint de démence sénile.
L’histoire se déroule durant l’hiver 2009. John (Viggo Mortensen), un ancien officier de l’armée de l’air devenu pilote commercial, habite Los Angeles avec son mari Eric (Terry Chen), infirmier, et leur fille adoptive de 10 ans, Monica. Son père, Willis (Lance Henriksen), continue de vivre dans le nord-est des États-Unis, seul, en pleine campagne, dans la grande ferme isolée où John et sa soeur Sarah (Laura Linney) ont passé toute leur enfance.
Méchanceté ou démence
Mais le vieux Willis n'a plus toute sa tête. Il est d'accord pour que John l'emmène avec lui en Californie, pour que celui-ci et Sarah lui trouvent une nouvelle maison proche de chez eux et puissent s'occuper de lui. Sans toutefois accepter pleinement ce changement de vie, en refusant de reconnaître que son état mental se dégrade.
Aux remarques homophobes, racistes, misogynes et réactionnaires de son père –dont on se demande à chaque fois si elles sont dues à la méchanceté ou à la démence–, John résiste avec un calme étonnant et un amour filial infini. "Je me suis juré de ne pas mordre à l'hameçon et d'éviter une crise. J'essaye de t'aider, papa", lui dit-il après une énième réflexion haineuse, insultante et incontrôlée de son père…
Nommé trois fois à l'Oscar
C'est le premier film comme réalisateur de Viggo Mortensen, 62 ans, devenu une star planétaire au début du siècle en incarnant Aragorn dans la trilogie LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Peter Jackson (LA COMMUNAUTÉ DE L’ANNEAU en 2001, LES DEUX TOURS en 2002 et LE RETOUR DU ROI en 2003).
Nommé trois fois à l'Oscar du meilleur acteur en 2008 pour LES PROMESSES DE L’OMBRE de David Cronenberg, en 2017 pour CAPTAIN FANTASTIC de Matt Ross et en 2019 pour GREEN BOOK de Peter Farrelly, Viggo Mortensen a également été remarqué dans A HISTORY OF VIOLENCE de David Cronenberg (2005) ou LA ROUTE de John Hillcoat (2009).
FALLING faisait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes 2020 annulé pour cause de Covid et devait sortir sur les écrans français le 4 novembre, quelques jours après le début du deuxième confinement.
Basé sur des événements réels
"Bien que FALLING ne soit pas vraiment une histoire autobiographique, certains éléments, y compris des flashbacks liés à l’enfance de John, sont basés sur des événements réels et des conversations de ma jeunesse", explique Viggo Mortensen.
"Mon père fut une présence écrasante dans la vie de ma mère, et leur séparation houleuse lorsque j’avais 11 ans et mes frères 6 et 8 ans, nous a profondément changés tous les trois", ajoute l'acteur-réalisateur. "L’ombre de notre père a continué à planer sur le nouveau foyer que nous avons construit avec notre mère des années après qu’ils avaient tous deux avancé dans la vie et trouvé de nouveaux partenaires. Au moment où ma mère est décédée, mon père en était au début de la démence et avait commencé à me confondre de temps en temps avec son propre père, glissant par moments dans le passé lointain de sa propre enfance et de son adolescence".
Retours en arrière
Le film alterne les confrontations père-fils et les retours en arrière, où l'un et l'autre vivent des souvenirs qui tournent souvent autour du personnage de la mère (interprétée par Hannah Gross), dont ils gardent en mémoire des images différentes. Ce sont ces séquences –notamment avec Sarah enfant (Carina Battrick), très touchante– qui sont les plus émouvantes et les plus réussies.
Viggo Mortensen, pour illustrer cet amour filial qui résiste à l'épreuve de la veillesse, a ainsi choisi de mettre l'accent sur un passé parfois difficile, parfois heureux, au moment où le père s'approche de la mort. On pense au titre du film de Zabou Breitman en 2002 SE SOUVENIR DES BELLES CHOSES, où il est question de maladie d'Alzheimer et de perte de la mémoire.
Fils bienveillant
L'acteur Lance Henriksen, 81 ans, remarqué dans TERMINATOR et pour le rôle de l'androïde Bishop dans la saga ALIEN, est ici impressionnant dans la peau de ce vieillard méchant et sénile qui insulte et déteste tout le monde. On l'enfermerait pour moins que cela dans un EPHAD (sans le vacciner), mais ce n'est pas le choix de son fils, aimant et bienveillant, tolérant et zen, pour lequel Viggo Mortensen s'est donné le beau rôle.
"Dans cette histoire –comme dans la plupart des histoires–, c’est parce que l’on commet des erreurs et qu’on admet les avoir faites, au moins de temps à autre, que l’on arrive à se faire accepter et à obtenir le pardon. C’est ainsi que le père et le fils commencent à trouver le moyen de se voir mutuellement réellement", conclut le réalisateur à propos de ce film délicat, parfois pénible, qui alterne les scènes de tension et les moments d'émotion.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Quand un homme de mon âge croit qu'il a envie de pisser, il a déjà pissé" (Willis, à sa petite-fille adoptive Monica).
(Grande-Bretagne/Canada, 1h52)
Réalisation: Viggo Mortensen
Avec Viggo Mortensen, Lance Henriksen, Terry Chen
(Sortie le 19 mai 2021)