L'homme qui aimait (photographier) les femmes
Il aimait provoquer, et l'a fait notamment par ses clichés de femmes dénudées dans les magazines de mode et les publicités des années 1970/1980. C'est le portrait d'une icône de la photographie que dresse le documentaire HELMUT NEWTON, L'EFFRONTÉ, sur les écrans ce mercredi 14 juillet.
Le réalisateur allemand, Gero von Boehm, a eu un accès exclusif et illimité aux archives de la Fondation Helmut Newton pour ce documentaire, qui comprend donc de nombreux extraits d'enregistrements audio et vidéo tournés du vivant d'Helmut Newton (1920-2004). On voit ainsi des séances photo et des déclarations du photographe, au fil de sa carrière.
Témoignages de femmes
Mais une grande partie du film est fait de témoignages actuels de femmes qu'il a photographiées, entre autres Grace Jones, Marianne Faithfull, Claudia Schiffer, Hanna Schygulla, Charlotte Rampling, Isabella Rossellini ou Anna Wintour, rédactrice en chef de l'édition américaine du magazine Vogue –les trois dernières étant les plus intéressantes.
L’une des idées fortes du réalisateur était de laisser parler seulement ces femmes. "Les femmes étaient ce qu’il y avait de plus important dans le travail de photographe d’Helmut", explique-t-il. "Il connaissait les femmes comme personne et les femmes le connaissaient. C’est pour ça que j’ai considéré que c’était à travers elles qu’il fallait raconter son histoire. En général, les hommes étaient juste des accessoires pour Helmut".
Femmes grandes et sculpturales
Les femmes d'Helmut Newton étaient grandes et sculpturales, souvent blondes, avec poitrine généreuse de préférence, talons hauts et rouge à lèvres –comme dans le fameux Dressed & Naked (à voir ici) montrant quatre femmes aussi fortes nues qu'habillées, un dyptique vendu 670.000 dollars en 2016 à Sotheby’s New York.
Mais il y avait des exceptions, comme Grace Jones qui raconte que le photographe lui rappelait souvent qu'elle avait une petite poitrine. Ou Charlotte Rampling, qui se souvient qu'il a été le premier à l’avoir fait poser nue, sur le bureau d’une chambre d’hôtel à Arles.
Pas un homme à femmes
Ce n'était paradoxalement pas un homme à femmes, témoigne Grace Jones, d'autres top-modèles racontent qu'il n'a jamais essayé de les séduire et qu'elles se sentaient en sécurité avec lui lors des séances photo. Le réalisateur montre aussi beaucoup June Newton, ancienne actrice australienne (décédée le 9 avril dernier) qui fut l'épouse du photographe depuis 1948 et assista à de nombreuses séances de travail.
Le documentaire, à la construction un peu décousue (dans la seconde partie, on évoque l'enfance d'Helmut Newton, né de père juif allemand et de mère américaine à Berlin, 13 ans avant l'arrivée de Hitler au pouvoir), montre un photographe qui maniait l'humour autant que la provocation.
Le bon tour joué à Le Pen
Sa notoriété dépassa les clichés érotiques qui devinrent sa marque de fabrique, et le film montre notamment le bon tour qu'il joua en 1997 à Jean-Marie Le Pen, alors président du Front national, en le photographiant dans sa résidence de Saint-Cloud pour le magazine The New Yorker avec ses deux dobermans. Une photo (à voir ici) qui rappelait un cliché d'Adolf Hitler et de son berger allemand (à voir ici), prise en 1925 par son photographe officiel Heinrich Hoffmann…
Une autre photo devenue célèbre est celle montrant les mains d’une femme ornées de bijoux Bulgari qui découpe un poulet. Cette photo (à voir ici) a créé un tel scandale que la marque a menacé de suspendre son contrat publicitaire avec Vogue France.
Cible des féministes
Mais bien sûr Helmut Newton est passé à la postérité pour ses photos de femmes dénudées. Et sa vision de la femme interroge aujourd'hui, à une époque ou le mouvement #MeToo et la "cancel culture" laissent à penser qu'il ne pourrait réaliser la même carrière, un demi-siècle plus tard.
Le documentaire montre que, déjà, en 1979, il était la cible des féministes: on y voit un extrait de l'émission de Bernard Pivot Apostrophes dans laquelle l’écrivaine américaine Susan Sontag qualifie les photographies d’Helmut Newton de "très misogynes" et d'"humiliantes" pour les femmes. Quand le photographe lui répond "Moi, j'adore les femmes", elle rétorque qu'"énormément d'hommes misogynes disent ça" et qu'"il y a une vérité objective: le maître adore son esclave, le bourreau adore sa victime…"
Le réalisateur du documentaire Gero von Boehm prend la défense de son sujet en estimant que "dans beaucoup d’images d’Helmut Newton, on peut surtout voir à quel point les femmes sont fortes et ont confiance en elles, ce qui peut certainement effrayer certains hommes".
Toujours controversé
Esthète ou pervers, non-conformiste ou convenu, toujours controversé (c'est ce qu'il recherchait), en lutte contre le puritanisme, Helmut Newton a marqué son époque et ce documentaire ne fera changer d'avis ni ses admirateurs ni ses détracteurs –et les autres, peut-être, n'auront pas d'avis tranché.
Il avait en tout cas le sens de l'humour et un goût de la provocation poussé à l'extrême, se plaisant ainsi à dire: "J’adore la vulgarité. Je suis très attiré par le mauvais goût, c’est bien plus excitant que le prétendu bon goût, qui n'est que la normalisation du regard. Le bon goût est aux antipodes de la mode, de la photo, des femmes et de l'érotisme. La vulgarité, au contraire, c’est la vie, l’amusement, le désir, les réactions extrêmes!"
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Je suis un voyeur professionnel" (Helmut Newton).
("Helmut Newton, The Bad And The Beautiful") (Allemagne, 1h29)
Réalisation: Gero von Boehm
Avec Helmut Newton, Isabella Rossellini, Charlotte Rampling
(Documentaire)
(Sortie le 14 juillet 2021)
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