La nonne qui dit non
Au milieu des années 60, le parfum de scandale avait une odeur d'encens: le film de Jacques Rivette SUZANNE SIMONIN, LA RELIGIEUSE DE DIDEROT, avec Anna Karina dans le rôle principal, adaptation du roman du philosophe publié à titre posthume en 1796, fut interdit pendant deux ans car jugé anticlérical et blasphématoire.
On est bien loin de tout cela aujourd'hui, et la nouvelle adaptation cinématographique de Guillaume Nicloux ne déclenchera aucun scandale. Le réalisateur lui-même avoue avoir voulu ''(se) dédouaner du contexte du roman, (se) déconnecter de l’image anticléricale de Diderot, (se) concentrer sur l’essence même du texte: l’ode à la liberté''.
L'histoire racontée par Diderot (1713-1784) se situe dans la seconde moitié du 18e siècle. Contrairement à ses deux soeurs aînées, Suzanne Simonin, 16 ans, est contrainte par sa famille à rentrer dans les ordres. ''Je ne veux pas'', dit-elle à plusieurs reprises. Mais quand on lui apprend qu'elle n'a pas le même père que ses deux soeurs, elle accepte d'expier la faute de sa mère.
La voici donc religieuse au couvent Sainte-Marie, dont la mère supérieure (Françoise Lebrun), par sa bienveillance protectrice, lui rend la vie moins amère. Mais quand celle-ci décède et est remplacée par une mère supérieure plus jeune (Louise Bourgoin), la vie de soeur Suzanne devient un enfer.
Cruelle et sadique, la nouvelle mère supérieure inflige punitions, brimades, isolement et sévices physiques à la jeune religieuse rebelle, et une partie du couvent est complice de ces mauvais traitements: on la fait marcher sur des morceaux de verre, on la met au cachot, on lui attache les mains, on lui marche dessus, on lui crache à la figure.
Ce n'est qu'après plusieurs mois de souffrances que soeur Suzanne, ayant pu communiquer avec l'extérieur, parvient enfin à être transférée dans un autre couvent. Là, elle va connaître une troisième mère supérieure (Isabelle Huppert) bien différente des deux premières: elle est aimante, un peu trop aimante...
''«La Religieuse» est moins un roman sur l’enfermement que sur la liberté'', explique Guillaume Nicloux. ''J’ai donc voulu recentrer le livre sur ces véritables désirs: l’autonomie de penser et l’accomplissement de sa vie au-delà de tout clivage religieux. Car au fond, Suzanne ne nie pas sa foi ni son amour de Dieu, elle affirme seulement sa volonté de les vivre comme elle l’entend''.
Pour le réalisateur, connu pour ses films policiers aux atmosphères sombres et mystérieuses (UNE AFFAIRE PRIVÉE, LE CONCILE DE PIERRE), ''les sujets traités dans «La Religieuse» sont des plus modernes: la révolte d’une jeune femme face à l’autorité, son combat sans relâche pour sa liberté, le droit à la justice, le refus de se résigner, la lutte contre l’arbitraire''.
Le film est sobre, parfois un peu ennuyeux, d'un ascétisme quasi monacal: clavecin, chants religieux, sermons, messes et cérémonies, éclairage à la bougie, décors épurés --c'est sûr, on n'est pas dans LE MONDE FANTASTIQUE D'OZ.
Pour incarner Suzanne, le réalisateur a choisi une actrice belge peu connue, Pauline Etienne. Cou gracile, nez et menton pointus, yeux clairs, peau blanche, lèvres fines, on lui donnerait le bon Dieu sans confession mais sa force de conviction, sa volonté de liberté sont impressionnantes.
Dans le rôle de la deuxième mère supérieure, garce et méchante, derrière son petit sourire narquois de peau de vache, Louise Bourgoin a du mal à convaincre. Même en se retenant de l'imaginer en string et bas résilles sous sa tunique, on peine à la trouver crédible, un peu comme si Jean-Claude Van Damme jouait le rôle de Stefan Zweig dans un biopic: le contre-emploi a ses limites.
Dans un rôle plus délicat, Isabelle Huppert, qui apparaît au bout d'une heure et quart, s'en tire beaucoup mieux. Il n'était pas évident d'exprimer les pulsions lesbiennes de son personnage, mais elle y réussit avec sobriété, caressant délicatement l'épaule et la tête voilée de soeur Suzanne, ou lui murmurant dans une supplique: ''Embrassez-moi!''.
Là encore, rien de scandaleux ni de scabreux, à l'image du film, sage et pudique, manquant un peu de flamme et de passion, amidonné comme la coiffe des bonnes soeurs.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
''C'est très beau de pleurer. On n'est jamais si près de Dieu que quand on pleure'' (Françoise Lebrun, dans le rôle de la première des mères supérieures de Suzanne, la plus bienveillante).
(France, 1h54)
Réalisation: Guillaume Nicloux
Avec Pauline Etienne, Isabelle Huppert, Louise Bourgoin
(Sortie 20 mars 2013)