''Le premier souvenir que j’ai de ma mère, c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant: «Les garçons et Guillaume, à table!» et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: «Je t’embrasse, ma chérie». Eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus''.
LES GARÇONS ET GUILLAUME, À TABLE!, c’est justement l’histoire de ces malentendus, de cette immense méprise familiale qui commence à l’enfance et qui continue bien au-delà du raisonnable, des années durant, jusqu’à ce qu’elle ne fasse plus sens, jusqu’à ce qu’elle fasse trop mal pour se poursuivre.
Cette histoire, c’est celle de Guillaume Gallienne, comédien hors pair et 513e sociétaire de la Comédie-française.
Pour ceux qui le connaissent peu, c’est simple: il sait tout faire, avec un talent fou. Capable de jouer aussi bien des pièces de Musset, Tchekov et Goldoni que le Gaulois Jolitorax dans ASTÉRIX ET OBÉLIX: AU SERVICE DE SA MAJESTÉ. Capable de faire le con dans des sketchs de la série Les Bonus de Guillaume sur Canal+, tout en lisant les grands textes de la littérature, Les fleurs du mal ou Sodome et Gomorrhe, sur France Inter. Capable encore d’écrire le livret du ballet Caligula pour l’Opéra de Paris ou d’adapter Illusions perdues de Balzac pour le Ballet de Bolchoï.
Comédien éclectique et caméléon, il s’est cette fois attelé à la réalisation d’un film tiré de sa propre vie, racontée à l’origine dans un spectacle homonyme où, seul en scène, il incarnait tous les personnages. La pièce avait joué à guichets fermés, à Paris comme en province. Alors Guillaume Gallienne a décidé d’en faire un film. Un film inclassable, sur le rapport au genre, féminin-masculin, et sur la perception du genre par l'autre, a fortiori s’il est de votre famille…
Quand il était enfant, la mère de Guillaume disait ''Les garçons et Guillaume''. Et cette petite conjonction, ce ''et'' lui a fait croire que pour rester unique aux yeux de cette Maman sans tendresse mais extraordinaire, pour se distinguer de cette masse anonyme qu’étaient les garçons, ses frères, il ne fallait surtout pas qu’il en soit un.
Alors Guillaume a tout fait pour être une fille, et quel meilleur modèle que sa mère? C’est ainsi qu’il a commencé à jouer, à l’imiter. Peu à peu, il a pris la même voix qu’elle, les mêmes gestes, les mêmes expressions.
''Je ne suis pas devenu efféminé, mais féminin, m’appropriant Maman'', dit-il. ''Alors forcément, on a fini par me coller une étiquette, dans laquelle je me suis drapé voluptueusement pendant longtemps, prenant le risque d’en explorer toutes les nuances. Jusqu’à parvenir enfin à m’en affranchir''.
Dans son film, Guillaume Gallienne interprète donc deux personnages, Guillaume et sa mère, l’idole de sa jeunesse et la source de ses tourments. Ainsi il passe sans cesse d’un âge à un autre, d’un sexe à un autre, d’un décor à un autre, pour raconter son incroyable aventure: ''comment je suis devenu acteur en devenant ma mère pour réussir à devenir moi'', dit-il. ''Cette quête d’épanouissement aurait pu être une tragédie. Heureusement, grâce au jeu, elle est devenue drôle, un peu surréaliste même''.
A l’image de cette quête, le film s’avère drôle et surréaliste, avec des dialogues qui fusent, de grands moments d’émotion et une fabuleuse performance de comédien à la manière d’un Jack Lemmon (CERTAINS L’AIMENT CHAUD) ou d’un Dustin Hoffman (TOOTSIE).
Bonus non négligeable, Guillaume Gallienne démontre aussi qu’il a un grand sens de la mise en scène et du rythme comiques, un don finalement assez rare en France.
Bref, avec ce film, l’acteur se transforme en réalisateur de talent et raconte par la même occasion à la France entière comment, pendant une partie de sa vie, on l’a cru homosexuel alors qu’il est en fait hétérosexuel, marié et heureux.
Mais attention, en 2014, il changera de nouveau de sexualité, le temps d’un autre biopic, YVES SAINT LAURENT de Jalil Lespert, où il jouera le rôle de Pierre Bergé, le compagnon du styliste français.

Karine G. Barzegar

LA PHRASE
''Tu sais, carino, c’est simple. Un jour, tu vas tomber amoureux. Si c’est un garçon, t’es homo. Si c’est une fille, t’es hétéro''. (L’une de ses tantes, à Guillaume qui s’interroge sur sa sexualité).

LES GARÇONS ET GUILLAUME, À TABLE!
(France, 1h25)
Réalisation: Guillaume Gallienne
Avec Guillaume Gallienne, André Marcon, Françoise Fabian
(Sortie le 20 novembre 2013)