La sculptrice et le pigeon
On ne sait pas quelle drogue avaient prise les sélectionneurs du Festival de Cannes 2022 quand ils ont visionné et choisi SHOWING UP pour la compétition officielle, mais cela devait être de la bonne. Car ennui et intellectualisme se poussent du coude pour qualifier le dernier film de la réalisatrice américaine Kelly Reichardt (ce mercredi 3 mai dans les salles).
Inconnue du grand public mais appréciée des cinéphiles avertis, des critiques exigeants et des organisateurs de festivals, Kelly Reichardt, 59 ans, est une figure de proue du cinéma américain indépendant, loin des studios hollywoodiens et des films à gros budget. Son dernier film FIRST COW, en 2020, avait été notamment salué, racontant l'histoire de l'amitié entre deux jeunes aventuriers en Oregon, au début du 19e siècle, et de la première vache introduite en Amérique.
Dans SHOWING UP, l'histoire se déroule de nos jours à Portland (nord-ouest des États-Unis) et se concentre sur Lizzy (Michelle Williams), une sculptrice angoissée à une semaine du vernissage de l'exposition de ses œuvres, des petites statues de danseuses.
Problèmes de chaudière
Mais c'est sa vie quotidienne qui lui prend tout son temps: elle a des problèmes de chaudière, va acheter des croquettes pour son chat, son frère est parano et pense que ses voisins lui ont coupé l'accès à Channel-4, des amis marginaux squattent chez son père, sa mère directrice d'un atelier d'artistes (sculpture, peinture, théâtre, céramique, poterie, photographie, suspensions) n'a pas le temps de s'occuper d'elle.
Et surtout, son chat attrape et blesse un pigeon. C'est le drame. Le pigeon a une aile cassée. Il est recueilli par sa voisine, artiste comme elle et propriétaire de son appartement. Les deux femmes bandent le pigeon et Lizzy s'en occupe, l'installe dans une boîte en carton et l'emmène chez le vétérinaire (consultation: 150 dollars). Lizzy met une bouillotte dans la boîte du pigeon. Mais ce n'est pas tout ça: il faut préparer le vernissage de l'expo…
Création artistique et vie quotidienne
"Un artiste l’est au quotidien. Il se réveille, il travaille, il accomplit des gestes a priori anodins, pour autant ses préoccupations artistiques ne le quittent jamais", expliquait la réalisatrice l'an dernier dans une interview au site du CNC. Dans SHOWING UP elle veut montrer que la création artistique se nourrit de la vie quotidienne.
Lizzy est ainsi sans cesse sollicitée par le monde extérieur, par des choses domestiques, triviales, par de micro-évènements banals –ce qui lui permet, peut-être, de créer. "Oui le monde extérieur la nourrit. De la même façon, ce qui se passe avec sa famille et le reste du monde lui donne de l’énergie et des idées pour réaliser son œuvre, tout en étant des obstacles à son travail et à son temps", dit Kelly Reichardt.
Voyage au bout de l'ennui
Le statut de l’artiste et les tourments de la création, une certaine ironie sur le monde fermé des créateurs et des intellos: avec toujours cette absence volontaire de rythme, cette prise de tête continuelle et cet intérêt pour les personnages marginaux ou quelconques, Kelly Reichardt va encore ravir ses admirateurs.
Pour les autres, ce SHOWING UP est un voyage au bout de l'ennui, quatrième collaboration de la réalisatrice avec l'actrice Michelle Williams qui, ici, cheveu terne, gilet tricoté, collants moches, sabots crocs, fait davantage penser à une Chantal Goya fatiguée qu'à la mère de Steven Spielberg dans THE FABELMANS.
Quant au pigeon, principal protagoniste du film, il finira (attention, spoiler!) par s'envoler, guéri et libéré par des enfants, le jour de l'exposition –grosse métaphore. Mais le vrai pigeon, peut-être, n'est-il pas le spectateur de ce film soporifique?
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Lizzy, tu as du fil dentaire?" (un collègue de Lizzy).
(États-Unis, 1h48)
Avec Michelle Williams, Hong Chau, Maryann Plunkett
(Sortie le 3 mai 2023)
Retrouvez cet article, ainsi que l'ensemble de l'actualité culturelle (musique, théâtre, festivals, littérature, évasion)
sur le site