Le biopic très autorisé (et très réussi) d'Elton John
"I'm Still Standing", chantait-il en 1983. Elton John a surmonté ses démons de superstar et, toujours debout, désormais apaisé, raconte sa vie de succès et d'excès dans le biopic qu'il a commandé et produit, Rocketman. Il a confié à deux Britanniques le soin de raconter sa vie: le réalisateur Dexter Fletcher et le jeune acteur Taron Egerton, qui interprète son rôle.
Présenté hors-compétition au dernier Festival de Cannes, le film commence par une scène dans laquelle Elton John, dans l'une de ses tenues de scène les plus extravagantes (combinaison orange moulante, casque pailleté avec grandes cornes noires, ailes rouges et noires dans le dos, lunettes rouges en forme de cœur: à voir ici), entame une cure de désintoxication dans un établissement spécialisé. On est en juillet 1990 et le chanteur, devant une dizaine d'autres patients assis en cercle à la manière des Alcooliques Anonymes, avoue être alcoolique, cocaïnomane, obsédé sexuel, acheteur compulsif, tyranniquement autoritaire, et commence à raconter sa vie.
Son récit débute quand il a 5 ans et joue du piano avec deux doigts, dans sa famille londonienne ni riche ni pauvre où il est ignoré de son père, peu aimé de sa mère (Bryce Dallas Howard), mais protégé et encouragé par sa grand-mère qui l'accompagne à ses premiers cours à la Royal Academy of Music.
Le jeune Reginald Kenneth Dwight est doué pour la musique mais cherche des textes à chanter. Il rencontre Bernie Taupin (Jamie Bell), qui sera pendant plus d'un demi-siècle le parolier de la plupart de ses tubes et, dit-il "le frère que je n'ai jamais eu". "Écrivez-moi des chansons que les clodos siffleront dans la rue", leur dit leur premier producteur. C'est le début d'une carrière faite de succès et d'excès, de hauts et de bas, de tourments qui ne s'apaiseront qu'aux début des années 90…
Elton John avait ce projet de biopic autorisé depuis une dizaine d'années et le film est donc, à 72 ans, une espèce de confession sur ses années mouvementées: l'histoire racontée s'arrête en 1990 au moment de sa cure de désintoxication et ne fait pas référence à la suite, notamment sa rencontre en 1993 avec son mari actuel David Furnish, qui a co-produit le film avec lui. "Ça devait être le plus honnête possible. Les bas étaient très bas et les hauts très hauts. Je voulais que le film le montre", dit-il. Son homosexualité est assez vite évoquée dans le film par sa rencontre avec son premier manager, John Reid (Richard Madden), et la difficulté d'en parler publiquement à l'époque est illustrée par son mariage hétérosexuel raté, en 1984, avec Renate Blauel, une ingénieure du son allemande dont il divorcera quatre ans plus tard.
Rocketman fait inévitablement penser à Bohemian Rhapsody, autre biopic récent d'une icône gay de la pop music, Freddie Mercury, également réalisé par Dexter Fletcher qui avait repris le flambeau de Bryan Sunger, renvoyé après trois mois de tournage. Outre le fait qu'Elton John est toujours bel et bien vivant (et est à l'origine du projet), la grosse différence est qu'ici Taron Egerton interprète lui-même les chansons. Révélé dans les deux comédies d'action Kingsman en 2015 et 2017, l'acteur –assez convaincant, même s'il rate quelques scènes comme celle où, dans une cabine téléphonique, il avoue son homosexualité à sa mère– se double ici d'un chanteur plutôt doué.
Les drogues en tous genres, les vodkas-orange au petit-déjeuner, les excès sexuels, les accès d'autoritarisme, la folie des grandeurs, l'argent jeté par les fenêtres: tout cela est évoqué rapidement, au milieu d'un défilé de costumes extravagants et de paires de lunettes toutes plus kitch les unes que les autres.
Cela ravira les fans et aura peut-être plus de mal à convaincre les autres. Mais si le film est hagiographique, cela n'empêche pas quelques jolis moments de cinéma et quelques scènes très réussies, résumant parfois plusieurs périodes en un enchaînement façon clip et accompagnées musicalement par les plus grands succès d'Elton John: ses débuts américains au Troubadour à Los Angeles avec un charmant effet spécial; sa tentative de suicide dans une piscine sur fond de la chanson Rocketman, enchaînée avec son concert au Dodger Stadium de Los Angeles en 1975 puis l'intérieur de son jet privé; son explication tumultueuse avec sa mère, quand il est au sommet de sa carrière, sur un bout de Sorry Seems To Be The Hardest Word; ou sa (rare) dispute avec Bernie Taupin sur Goodbye Yellow Brick Road, qui se termine par la scène où il se retrouve dans l'établissement de désintoxication du début du film.
"Vu la personnalité d'Elton, on a laissé libre cours au rêve et à l'imagination", dit le réalisateur. Réalité ou fiction, l'une des scènes les plus émouvantes est celle dont on voit des extraits dans la bande-annonce, en début de film et en début de carrière (1970). Elton John est revenu loger chez sa mère et sa grand-mère, ainsi que son ami (mais pas amant) Bernie Taupin. Un matin, au petit-déjeuner, celui-ci lui tend une feuille de papier sur laquelle il a écrit des paroles, qui commencent par "It's a little bit funny this feeling inside". Elton John prend la feuille en disant "Il y a de l'œuf dessus". Puis, en peignoir rayé orange et noir, se met au piano et commence à improviser une musique, devant les yeux émerveillés de sa mère et de sa grand-mère. C'est la naissance de sa plus belle chanson, Your Song.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Je ne vis pas ma vie en noir et blanc" (Elton John à sa mère).
(Grande-Bretagne, 2h01)
Réalisation: Dexter Fletcher
Avec Taron Egerton, Jamie Bell, Richard Madden
(Sortie le 29 mai 2019)