Pomme, pomme, pomme, pomme...
Il a changé la vie quotidienne de centaines de millions de personnes, depuis 30 ans, comme personne d'autre. Dans STEVE JOBS, le réalisateur britannique Danny Boyle dresse le portrait du fondateur d'Apple, inventeur du Mac et de l'iPhone, décédé en octobre 2011 à l'âge de 56 ans.
L'acteur germano-irlandais Michael Fassbender est époustouflant dans ce film d'une virtuosité peu commune. Ce n'est pas un biopic comme les autres. D'ailleurs ce n'est pas un biopic: plutôt que de raconter la vie de Steve Jobs, Danny Boyle a décidé de filmer, en trois parties de 40 minutes, les coulisses précédant le lancement de trois produits emblématiques de sa carrière. C'est comme une brillante pièce de théâtre en trois actes, avec ses dialogues cinglants, ses entrées, ses sorties, ses affrontements, le tout en temps réel, presque en huis clos.
La première partie, qui raconte les minutes précédant le lancement du Macintosh en 1984, dans l'auditorium du De Anza College, au cœur de Cupertino, en Californie, a été tournée en 16mm, "pour lui donner un côté un peu grossier, amateur", explique le réalisateur.
L’Opéra de San Francisco est le théâtre du deuxième acte pour la présentation du NeXTcube, que lança Steve Jobs en 1988 après avoir été exclu d'Apple. L'épisode est tourné en 35mm "qui lui donne un aspect fluide, soyeux, en rupture avec le premier acte".
Enfin les coulisses du lancement de l'iMac en 1998, dans la salle de concert futuriste Davies Symphony Hall, au centre de San Francisco, ont été filmées avec une caméra numérique de très haute définition: "Nous accédons à l’ère des possibilités infinies, correspondant au retour de Steve Jobs chez Apple", explique Danny Boyle.
Dans chacune des trois parties, les six mêmes personnages apparaissent, autour de Steve Jobs: Joanna Hoffman (Kate Winslet), la directrice du marketing et femme de confiance de Steve Jobs, la seule à lui avoir tenu tête pendant trois décennies; Steve Wozniak (Seth Rogen), l'ami des débuts, qui fonda l'entreprise avec Steve Jobs dans un garage en imaginant l'ordinateur du futur; John Sculley (Jeffs Daniels), que Steve Jobs alla chercher chez Pepsi pour en faire le président d'Apple mais qui le vira en 1985; Andy Hertzfelf (Michael Stuhlbarg), le principal ingénieur, qui fit des miracles au fil des années; et Chrisann Brennan (Katherine Waterston) et sa fille Lisa, dont Steve Jobs refusa d'abord de reconnaître la paternité avant de régler ce problème familial par la suite.
Les interventions de ces personnages et les nombreux retours en arrière permettent de dresser le portrait d'un homme d'exception: Danny Boyle décrit un homme au caractère fort et revient sur les différents moments marquants de sa vie et de sa carrière. "C’est un personnage shakespearien. Il est fascinant, brutal et attirant à la fois. J’ai imaginé tous ces gens qui tournaient en orbite autour de ce personnage qui avait une force de gravité extraordinaire".
"Il y a incontestablement des éléments tirés de la réalité, mais le film est une abstraction. Il mélange des faits réels et imaginaires autour de trois actes, le lancement du Macintosh en 1984, du NeXTcube en 1988 et de l’iMac en 1998. Six personnages apparaissent à trois reprises, 40 minutes avant le lancement de chaque produit, et se heurtent les uns aux autres. Ça ne correspond pas à la réalité, c’en est une forme dramatisée", ajoute Danny Boyle, dont c'est sans doute le film le plus brillant.
Le réalisateur de PETITS MEURTRES ENTRE AMIS (1994), de TRAINSPOTTING (1996), de LA PLAGE (2000), de SLUMDOG MILLIONAIRE (2008, huit Oscars), de127 HEURES (2010) et plus récemment du fascinant thriller TRANCE (2013), s'est basé sur la biographie monumentale de Walter Isaacson adaptée par le scénariste Aaron Sorkin, qui avait déjà écrit en 2010 le scénario du film de David Fincher THE SOCIAL NETWORK, sur le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg.
Le film est ainsi bien plus brillant que le biopic plus traditionnel, JOBS, que tourna en 2013 Joshua Michael Stern, avec Ashton Kutcher dans le rôle principal. On en sort secoué par l'interprétation de Michael Fassbender, le rival le plus sérieux pour Leonardo DiCaprio dans la course à l'Oscar du meilleur acteur. Et bien sûr par ce personnage hors du commun, ce génie des temps modernes, cet homme qui, souligne Danny Boyle, "a changé une des composantes les plus importantes de nos vies, notre façon de communiquer, d’interagir les uns avec les autres, alors même que beaucoup de ses interactions personnelles étaient dysfonctionnelles".
"J’espère qu’en voyant ce film, le public prendra conscience de la mesure dans laquelle cet homme a changé le monde, grâce à sa volonté féroce, son intelligence, son dévouement démesuré et sa passion, et qu’il verra également le risque encouru au niveau personnel", ajoute le réalisateur, qui a évité le piège de l'hommage béat et de l'hagiographie facile. "En dépit de son talent de visionnaire, une dose de connaissance de soi et d’humanité ne fait surface chez notre personnage que quand il prend conscience qu’il a lui-même +un défaut de fabrication+". Steve Jobs était aussi, paraît-il, un être humain.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Ne critiquez pas si vous ne comprenez pas" (Steve Jobs).
(États-Unis, 2h02)
Réalisation: Danny Boyle
Avec Michael Fassbender, Kate Winslet, Seth Rogen
(Sortie le 3 février 2016)