THE CHEF

Tous en cuisine

Pour le chef Andy (Stephen Graham, à droite), son adjointe Carly (Vinette Robinson, à gauche) et le principal cuistot (Ray Panthaki), c'est un peu panique en cuisine pour le vendredi précédant Noël (©UFO Distribution).
Pour le chef Andy (Stephen Graham, à droite), son adjointe Carly (Vinette Robinson, à gauche) et le principal cuistot (Ray Panthaki), c'est un peu panique en cuisine pour le vendredi précédant Noël (©UFO Distribution).

Un film d'une heure et demie en plan-séquence, sans coupure ni trucage: c'est un petit exploit technique du jeune réalisateur britannique Philip Barantini qui, dans THE CHEF (ce mercredi 19 janvier sur les écrans), plonge le spectateur dans un restaurant londonien et ses cuisines, en immersion totale et à un rythme haletant.

C'est le "Magic Friday", le vendredi avant Noël, la soirée la plus fréquentée de l’année. Au Jones & Sons, un restaurant gastronomique de Londres, on s'apprête à accueillir les clients. Le chef, Andy, arrive au restaurant mais, avant l'ouverture, doit recevoir le fonctionnaire des services d'hygiène qui lui annonce que la note globale de son établissement a baissé de 5 à 3, en raison d'irrégularités récemment constatées.

Selfie collectif

La soirée commence mal et Andy réunit dans l'arrière-cuisine la dizaine de membres de sa brigade pour leur passer un savon. Mais il faut aller de l'avant. La gérante du restaurant (et fille du propriétaire) réunit à son tour tout le monde –brigade en cuisine et personnel de salle– pour un dernier briefing et un selfie collectif.

"Ça va bien se passer", dit Andy. Et c'est parti pour le coup de feu. Le restaurant ouvre ses portes, les premiers clients s'installent, les serveuses prennent les commandes, dans un cadre chic et raffiné: atmosphère feutrée, lumières tamisées, musique d'ambiance, verres à bougies sur les tables, sapin de Noël dans un coin.

Rythme de croisière

Le bar s'active et, en cuisine, on prend son rythme de croisière, sous les ordres d'Andy et surtout de son adjointe Carly, qui a les épaules au moins aussi solides que lui. "En direct: un crabe, une poêlée. À suivre: un risotto, un magret, une barbue…"

Une centaine de clients ont fait une réservation. Certains sont sympas, d'autres odieux. Parmi eux six jeunes Américaines en goguette, un couple dont l'homme va demander en mariage sa fiancée qui a signalé à la serveuse une allergie alimentaire, trois influenceurs niais qui se filment pour Instagram et exigent simplement un steak-frites, une critique gastronomique accompagnée d'un chef vedette de la télé qui a jadis été le supérieur d'Andy dans un autre restaurant…

Tenir le rythme

La soirée ne fait que commencer. On s'engueule, on fait tout son possible pour satisfaire les clients et tenir le rythme, en cuisine comme en salle on s'entraide, des serveuses aux plongeurs en passant par les cuistots et la petite stagiaire française qui prépare les salades et accompagnements.

Au milieu de cette agitation professionnelle, Andy a ses problèmes personnels –il est séparé de sa femme et de leur jeune fils, il carbure un peu trop à la vodka et à la cocaïne, il s'isole souvent pour répondre à son portable. Mais il tient le coup, et sait qu'il peut s'appuyer sur Carly, la vraie patronne de la cuisine…

D'abord un court-métrage

C'est le deuxième film du réalisateur Philip Barantini, 41 ans, qui a d'abord été acteur avant de passer à la réalisation en 2019: trois courts-métrages puis un long-métrage en 2020, VILLAIN, qui n'est sorti dans les salles qu'en Grande-Bretagne. L'un de ses courts-métrages était un avant-goût de THE CHEF: 20 minutes filmées en continu. Pour le long-métrage, il a étoffé l'histoire et surtout la distribution, et a donc réalisé un plan-séquence 4,5 fois plus long.

Dans l'histoire du cinéma, les plans-séquences à l'intérieur de films ont souvent fait les délices des cinéphiles. Puis certains réalisateurs ont imaginé un film entier en continu. Parmi les plus célèbres de ces films, il y a les faux plans-séquences: BIRDMAN, d'Alejandro González Inárritu (2015), 1917, de Sam Mendes (2020) ou, en remontant plus loin, LA CORDE, d'Alfred Hitchcock (1948): ces films comportent des coupures, qui sont dissimulées par un montage habile, des écrans noirs entre deux séquences ou des raccords numériques.

Un vrai film plan-séquence

Pas de trucages ou de raccords numériques ici dans THE CHEF: c'est un vrai plan-séquence de plus d'une heure et demie, à l'image d'autres exploits techniques récents comme TIME CODE, de Mike Figgis (2000) avec l'écran divisé en quatre plans, le film historique L’Arche russe, d’Alexandre Sokourov (2002) ou le thriller VICTORIA, de Sebastian Schipper (2015).

Après deux semaines de répétitions comme pour une pièce de théâtre, le tournage de THE CHEF s'est étalé sur deux jours seulement (avec plusieurs prises, le réalisateur ne gardant que la meilleure) en mars 2020, avant le premier confinement britannique. Cela s'est déroulé dans un vrai restaurant, le Jones & Sons, à Dalston, quartier du nord-est de Londres, qui appartient à un très bon ami du réalisateur.

Dans tous les recoins du restaurant

"Nous nous sommes fixé deux règles: la caméra ne doit jamais répéter un mouvement, et elle ne doit pas flotter sans objectif précis", explique le réalisateur. La caméra à l'épaule, sans trembler et avec une bonne qualité d'image, emmène le spectateur dans tous les recoins du restaurant: la salle, le bar, les cuisines, l'arrière-cuisine, les bureaux, les toilettes, l'arrière-cour. Pour cet exploit technique il convient de citer le nom du chef opérateur, même s'il est inconnu: Matthew Lewis.

Mais THE CHEF n'est pas seulement un exercice de style. Avant de devenir comédien Philip Barantini a travaillé comme cuisinier pendant 12 ans, jusqu'à devenir chef, et sait donc de quoi il parle. "Pendant 12 ans, j'ai été témoin de tous les hauts et les bas inhérents au métier, et j'ai toujours pensé que cela pouvait être exploré. J'avais vu films et émissions sur ce monde, mais ils ne rendaient pas compte de ce que j'avais vu et vécu. THE CHEF repose soit sur ce que j'ai vécu personnellement, soit sur ce dont j'ai été le témoin", dit-il.

Pression, stress, addiction

Son intention était de "modifier la perception du consommateur lambda sur la restauration et son personnel, grâce à un récit immersif où chacun peut s'identifier aux personnages", et surtout de "montrer cette pression, ce stress, cette addiction" qui sont le quotidien des personnels de la restauration.

Pour cela il a mis en scène une galerie de personnages qui lui permet de décrire différents exemples de relations humaines (entre les employés ou avec les clients), dans un film au rythme fou. Même s'il y a un peu trop d'éclats de voix et de tension, le spectateur est vite pris dans cette addiction et les moments plus calmes, comme la discussion avec la critique et le chef vedette de la télé, passent presque pour des longueurs.

Mais il fallait bien laisser les acteurs un peu souffler, en cette heure et demie de folie en huis clos. Tous jouent une partition parfaite, avec Stephen Graham dans le rôle principal d'Andy et surtout Vinette Robinson, impressionnante de charisme dans le rôle de Carly: son monologue de colère lors d'une explication musclée avec la gérante est l'un des moments d'anthologie de ce film singulier et remarquable.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Faire une critique, c'est un peu comme le sexe. On se base sur ce qu'on a, pas sur ce qu'on n'a pas" (la critique gastronomique).

 

The Chef

("Boiling Point") (Grande-Bretagne, 1h34)

Réalisation: Philip Barantini

Avec Stephen Graham, Vinette Robinson, Jason Flemyng

(Sortie le 19 janvier 2022)


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