Philip Seymour Hoffman, une dernière fois
C'est avec émotion et admiration qu'on le voit, pour son dernier grand rôle. Philip Seymour Hoffman, mort le 2 février d'une overdose, sort du lot –encore une fois, une dernière fois– dans UN
HOMME TRÈS RECHERCHÉ.
Il y interpète Günther Bachmann, le chef d'une cellule anti-terroriste d'une demi-douzaine de personnes à Hambourg, ville encore marquée, plus de dix ans après, par les attentats du 11 septembre
2001: c'est Hambourg qui avait abrité le commando-suicide de Mohammed Atta, le cerveau des attaques contre le World Trade Center.
Bachmann et ses agents, qui n'ont pas d'existence légale, doivent composer avec les services secrets allemands ''officiels'' et avec la CIA, qui agit en Allemagne un peu comme en terrain conquis,
à l'image de sa patronne locale (Robin Wright).
Les relations ne sont pas faciles, la coopération pas évidente. Quand débarque clandestinement un immigré d'origine russo-tchetchène de religion musulmane, tout le monde est en alerte.
L'homme veut joindre un banquier (Willem Dafoe) pour récupérer une importante somme d'argent. Il obtient l'aide d'une avocate de gauche spécialisée dans la défense des immigrés (Rachel McAdams).
S'agit-il d'une victime ou d'un comploteur, d'un simple immigré ou d'un terroriste? Bachmann et ses agents suivent cela de près et ne veulent pas l'arrêter tout de suite, espérant qu'il va les
mener vers quelques gros poissons. Les services secrets et la CIA, eux, sont partisans de méthodes plus expéditives.
Une course contre la montre s'engage alors entre les différents services pour identifier cet homme très recherché, et éventuellement l'empêcher de nuire...
Troisième film du réalisateur néerlandais après CONTROL en 2007 (biopic sur Ian Curtis, leader du groupe
de rock anglais Joy Division) et THE AMERICAN en 2010 (un thriller avec George Clooney), UN HOMME TRÈS
RECHERCHÉ est tiré d'un roman de John Le Carré paru en 2008.
Miroirs à plusieurs faces, fausses pistes, doubles jeux, écrans de fumée, labyrinthes, manipulations, trahisons, mensonges: tout ce qui fait l'univers de l'écrivain est ici présent, avec
évidemment un rebondissement en fin de film.
Le suspense est diffus, lent, présent mais discret, dans une atmosphère à la fois réaliste et mystérieuse. La cellule de Bachmann est clandestine parce que, pour protéger la société contre le
terrorisme, elle fait parfois ce que la loi interdit de faire –pas de torture, pas d'actes rédhibitoires, mais des mises au secret, des filatures, des écoutes, des interrogatoires.
Dans cette histoire, rien n'est tout blanc ni tout noir, tout est un peu gris, il n'y a pas d'un côté les méchants et de l'autre les gentils –contrairement aux James Bond ou à Michel Fugain. Et jusqu'à la fin on ne sait pas qui a raison et qui a tort, qui va gagner et qui va perdre...
''Nous vivons dans un monde qui a beaucoup changé depuis 2001. Nous portons sur les gens un jugement à l'emporte-pièce, dans une optique très manichéenne. Je pense que cela a une incidence sur
notre vie'', juge Anton Corbijn.
La composition que fait de son personnage Philip Seymour Hoffman va dans ce sens. Bien sûr il est sympathique, du côté des gentils, mais il doute parfois et n'hésite pas à prendre les décisions
fortes qui s'imposent.
On le reverra dans les deux derniers HUNGER GAMES, notamment grâce à la magie des ordinateurs. Mais
ici Philip Seymour Hoffman prouve une nouvelle fois qu'il était un immense
acteur.
Imperméable, cigarette, verre de whisky, barbe de la veille, vieille Mercedes, petit téléphone portable d'avant les smartphones, massif, rusé, enjôleur, déterminé et calme, très pro mais parfois
un peu paumé: dans les bars glauques de Hambourg, dans les locaux secrets de sa cellule anti-terroriste, dans les fourgonnettes de planque, Philip Seymour Hoffman donne au personnage une
épaisseur impressionnante.
''Cet homme était un géant'', a écrit Anton Corbijn dans un texte publié par le
quotidien britannique The Guardian le 3 février dernier, au lendemain de la mort de l'acteur. Qui restera à jamais un homme très regretté.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
''Tout homme de bien a une petite part de mal, n'est-ce pas?'' (Robin Wright).
UN HOMME TRÈS RECHERCHÉ
(''A Most Wanted Man'') (États-Unis, 2h02)
Réalisation: Anton Corbijn
Avec Philip Seymour Hoffman, Rachel McAdams, Willem Dafoe
(Sortie le 17 septembre 2014)