Le Grand Prix du Festival de Cannes
C'est un film magistral, d'une simplicité linéaire mais riche de rebondissements et qui sonde avec force les comportements humains. UN HÉROS (ce mercredi 15 décembre sur les écrans), du réalisateur iranien Asghar Farhadi, n'est pas passé loin de la consécration au dernier Festival de Cannes: il y a obtenu le Grand Prix, deuxième récompense dans la hiérarchie du palmarès, juste derrière la Palme d'or.
Au départ, l'histoire est presque banale. Rahim (Amir Jadidi), calligraphe et peintre à Shiraz (ville du centre-sud de l'Iran), divorcé et père d'un enfant d'une dizaine d'années, est en prison pour ne pas avoir payé ses dettes à son créancier et ex-beau-frère. Lors d'une permission de deux jours, sa nouvelle compagne (Sahar Goldoust), orthophoniste de son fils (qui bégaie), lui dit qu'elle a trouvé dans la rue un sac à main rempli de pièces d'or, dont la valeur représente la moitié de la somme qu'il doit rembourser.
Acte de civisme et de générosité
Dans un premier temps il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte, mais celui-ci ne veut pas se contenter de la moitié de la somme. Alors Rahim décide de rendre le sac à sa propriétaire et met des annonces dans toute la ville pour la retrouver. Une femme se présente, récupère le sac puis disparaît.
Cet acte de civisme et de générosité attire vite l'attention des journaux, de la télévision et des réseaux sociaux. Rahim s'y prête volontiers et devient un héros public, félicité par la direction de la prison et soutenu par une association humanitaire. Mais la propriétaire du sac reste introuvable, le créancier ne retire pas sa plainte, et les choses ne vont pas se passer comme prévu pour Rahim…
Un des réalisateurs iraniens les plus connus
Asghar Farhadi, 49 ans, est l'un des réalisateurs iraniens les plus connus à l'étranger, avec Abbas Kiarostami (Palme d’or à Cannes en 1997 pour Le GoÛt de la cerise, décédé en 2016), Bahman Ghobadi ou Jafar Panahi. Il a connu la notoriété internationale en 2011 avec UNE SÉPARATION, une histoire de couple qui a cumulé les récompenses (Ours d'or du meilleur film au Festival de Berlin, Oscar, César et Golden Globe du meilleur film étranger).
Après s'être aventuré à tourner hors de son pays, en France (LE PASSÉ en 2013, avec Bérénice Bejo et Tahar Rahim) et en Espagne (EVERYBODY KNOWS en 2018, avec Penélope Cruz et Javier Bardem), il revient dans son pays pour raconter une histoire individuelle qui lui donne l'occasion de décrire la société iranienne.
Rouleau compresseur
Car Rahim, placé devant un dilemme moral, va devoir affronter le rouleau compresseur d'un système administratif aux accents kafkaïen, les réseaux sociaux qui peuvent en quelques heures transformer un héros en paria, les amis et la famille qui passent du soutien au doute.
Un petit mensonge pour la bonne cause qui a des conséquences disproportionnées, un détail qui fait vaciller la vérité, des ressentiments et des incompréhensions, des rebondissements chaque fois que Rahim veut prouver sa bonne foi, une société codée et sclérosée: peu à peu le piège se referme sur le personnage principal, comme une mécanique implacable. Et la rigueur de la réalisation place ainsi le spectateur au cœur d'un thriller psychologique sociétal qui vire au conte moral.
Le même sillon
Le sens de l’honneur, la loyauté, la méfiance, le mensonge et la manipulation, la famille, le couple: Asghar Farhadi creuse le même sillon dans tous ses films, avec une acuité remarquable. Et il le fait avec une apparente simplicité: "Un bon scénario est un scénario où on ne se dit pas qu'il est bien écrit. Un bon film est celui où on ne voit pas la mise en scène. Tout, dans mon travail de réalisateur, consiste à disparaître derrière mes films", explique-t-il dans une interview au dernier numéro du mensuel Première.
L'histoire d'UN HÉROS lui a été inspirée de faits réels: "Cela faisait quelque temps que je lisais dans la presse des histoires de ce genre. Celles d'individus ordinaires qui faisaient brièvement les titres des journaux en raison d'un acte altruiste. Ces histoires avaient souvent des particularités communes. Un HÉros n'a pas été inspiré d'un fait divers spécifique, mais j'avais à l'esprit, en l'écrivant, ces histoires lues dans la presse".
Petit sourire faux
Dans cette histoire il a pris soin de ne pas ranger les personnages dans un camp, celui des gentils ou celui des méchants, le bien ou le mal. Ainsi Rahim, remarquablement interprété par Amir Jadidi, qui ne se départit jamais de son petit sourire un peu faux, attire a priori la sympathie mais suscite aussi le doute de la part du spectateur –comme la plupart des autres personnages.
Ceux-ci ne sont ni tout blancs ni tout noirs, ils ont tous leur part d'ambigüité. "On peut dire que ce sont des personnages «gris»: ils ne sont pas stéréotypés, unidimensionnels. Comme toute personne réelle dans la vie quotidienne, ils sont faits de contrastes, de tendances antagoniques, de tiraillements au moment de leurs prises de décision", explique Asghar Farhadi.
Un grand et beau film
Dans ce film superbe, le réalisateur fait preuve de sa maîtrise habituelle pour filmer avec naturel les scènes de groupes (notamment familiaux), donner de l'importance au regard des enfants, raconter une histoire simple aux ramifications compliquées, transformer l'individuel en universel. Et se garder de donner au spectateur toutes les réponses aux questions soulevées dans le scénario, se contentant d'une dernière scène magnifique d'émotion et de sobriété, point final d'un grand et beau film.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"Il a baratiné tout le monde toute sa vie. Maintenant il est présenté en héros, et moi en salaud de créancier?" (le créancier de Rahim).
("Ghahreman") (Iran, 2h08)
Réalisation: Asghar Farhadi
Avec Amir Jadidi, Mohsen Tanabandeh, Sahar Goldoust
(Sortie le 15 décembre 2021)
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