Mathieu Kassovitz préfère la vie des autres
Sébastien Nicolas, 42 ans, est un homme banal. Métier banal (agent immobilier), appartement banal (petit pavillon de banlieue), allure banale (imper gris, lunettes, air triste), vie banale
(célibataire, pas d'amis). Tellement banal qu'il déteste son existence, et préfère se fondre dans celle des autres.
Quand il jette son dévolu sur quelqu'un, il enquête sur lui, le suit, le prend en photo, se renseigne sur ses habitudes. Puis, le soir dans sa cave, au milieu de centaines de perruques,
moustaches, nez postiches, vêtements, déguisements et téléphones portables, il se maquille, se grime, se transforme physiquement pour devenir littéralement ce quelqu'un d'autre.
C'est un usurpateur, pas pour tromper l'autre ou pour gagner de l'argent, mais juste pour lui-même. Pour lui c'est une quête personnelle, il veut devenir un autre pour devenir lui-même. "Ce sont
les seuls moments où je me sens vivant", se confie-t-il à un prêtre, seul dans la confidence.
Il n'est pas méchant, n'a pas de mauvaises intentions, ne veut faire de tort à personne. Et quand la situation devient délicate, il arrête et change de personnage.
Mais on ne change pas de vie sans causer de dégâts et sans faire du mal aux autres. Un jour, Sébastien Nicolas prend l'identité d'un grand violoniste solitaire revenu en France après des années
d'exil à New York. Se glisser dans sa peau sera beaucoup plus dangereux que pour les usurpations précédentes...
UN ILLUSTRE INCONNU est le troisième film du réalisateur Matthieu Delaporte, très différent du précédent: il s'agissait du PRÉNOM, énorme succès au théâtre puis au cinéma en 2012, avec notamment Patrick Bruel. "Le projet d'UN ILLUSTRE INCONNU existait avant LE PRÉNOM, et grâce au succès de la pièce, puis
du film, on a pu mettre en chantier ce nouveau projet".
Dans ce film à l'atmosphère étrange, aux limites de la vraisemblance comme s'il oscillait lui aussi entre fiction et réalité, le réalisateur pose la question que prononce, dans le film, le prêtre
auquel le personnage de Sébastien Nicolas se confie: "Connaît-on vraiment quelqu'un?".
Ce personnage ne cherche pas à se faire passer pour un autre qui n'existe pas (comme Romain Gary ou n'importe quel utilisateur de Facebook qui se crée un profil sous un pseudo) mais pour un autre
qui existe réellement. C'est ce qui va lui causer quelques problèmes, et maintenir dans le film un suspense constant.
Dans ce rôle polymorphe d'anti-héros très discret, Mathieu Kassovitz est impressionnant. Quatre heures de maquillage par jour pendant 13 semaines de tournage et un Sébastien Nicolas maniaque,
méticuleux, obsessionnel, précis, inquiétant: "l'une des clés que j'avais donnée à Mathieu Kassovitz, c'était de se considérer comme un tueur en série qui ne passe pas à l'acte", explique le
réalisateur.
C'est un vrai rôle de composition: tant comme acteur que comme réalisateur, Mathieu Kassovitz -actuellement à l'affiche de VIE SAUVAGE- n'a pas une
image négative de lui-même et ne rêve aucunement de vivre la vie des autres -ses collègues de "la grande famille du cinéma" avec lesquels il n'entretient, on le sait, que peu de rapports amicaux.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
"On parle souvent de la vie après la mort. Mais il y a une autre dimension: la vie après la vie. (…) Tu as le droit de changer" (un prêtre, à qui se confie
Mathieu Kassovitz).
UN ILLUSTRE INCONNU
(France, 1h58)
Réalisation: Matthieu Delaporte
Avec Mathieu Kassovitz, Marie-Josée Croze, Eric Caravaca
(Sortie le 19 novembre 2014)