UNE VIE CACHÉE

Le grand et beau retour de Terrence Malick

Franz Jägerstätter (August Diehl) est un personnage qui a réellement existé: un paysan autrichien objecteur de conscience (©UGC Distribution).
Franz Jägerstätter (August Diehl) est un personnage qui a réellement existé: un paysan autrichien objecteur de conscience (©UGC Distribution).

C'est le grand retour au premier plan de Terrence Malick. UNE VIE CACHÉE, présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, n'a pas été récompensé au palmarès mais a reçu un accueil chaleureux de la critique.

"L'histoire qui suit est tirée de faits réels", prévient un panneau dès le générique du début. C'est l'histoire de Franz Jägerstätter (remarquablement interprété par l'acteur allemand August Diehl), un paysan qui habite dans un petit village des Alpes autrichiennes, en 1939. Il coule des jours heureux et goûte quotidiennement au bonheur familial auprès de sa femme Fani (Valerie Pachner), de leurs trois petites filles, de sa mère et de sa belle-sœur.

Mais, un jour, des avions dans le ciel et des soldats dans le village annoncent la fin de ce petit paradis terrestre. Franz n'est pas d'accord avec l'idéologie du régime nazi et l'atmosphère belliqueuse qui monte partout. Il refuse de contribuer à la collecte pour l'effort de guerre, refuse les allocations familiales d'État, refuse de faire allégeance au régime.

Très vite il est mis au ban du village. L'évêque le reçoit mais lui dit: "Tu as un devoir envers ta patrie". Sa mère et sa belle-sœur désapprouvent son attitude. Seule sa femme le soutient. Il est appelé sous les drapeaux et, au lieu de se cacher ou de fuir, il se rend à la caserne. Là, il refuse de faire le salut hitlérien, est emprisonné, puis on lui annonce qu'il sera jugé et qu'il encourt la peine de mort.

Orgueil, égoïsme, entêtement ou force de conviction, fidélité à ses idées, sens de l'honneur? Il se trouve désormais déchiré entre la tentation de céder pour protéger les siens et la volonté de suivre sa conscience jusqu'au bout. "Il ne peut rien arriver de mal à un homme de bien", dit-il. "Je t'aime quoi que tu fasses (…). Je suis avec toi, toujours", lui dit sa femme…

Eglise, clocher, maisons en bois, vallée verdoyante et montagnes imposantes, nuages, forêts, champs de blé moissonnés à la faux et labourage à la charrue, foin l'été, neige l'hiver, pommiers, ruisseaux, moutons, cochons, vaches, oies et poules, pâturages, machines à tisser, fours à pain, bois à couper: Terrence Malick filme comme personne la beauté de la nature et, dans le cadre idyllique de la première partie du film, l'amour parfait d'un couple et leur bonheur familial simple.

Puis le destin de Franz Jägerstätter bascule et la seconde moitié de ce film très long (près de trois heures) devient une ode à la foi, à la résistance, à la force mentale, à la volonté de faire triompher sa conscience et ses convictions dans la lutte entre le Bien et le Mal. "Mieux vaut subir l’injustice que la commettre", dit le héros tranquille de cette histoire forte et émouvante.

Terrence Malick, 76 ans, cinéaste secret et rare, intello, souvent hermétique, taxé d'esthétisme voire de grandiloquence par ses détracteurs mais vénéré par ses admirateurs pour sa poésie éthérée, la beauté de ses images et la fluidité de sa façon de filmer, s'était égaré ces dernières années dans un cinéma expérimental, avec impasses existentielles, narration éclatée et dialogues chaotiques. Après seulement cinq films en 38 ans, de 1973 à 2011 (dont LES MOISSONS DU CIEL en 1978, avec Richard Gere, et THE TREE OF LIFE, Palme d'or à Cannes en 2011), ses trois derniers films très rapprochés avaient été égratignés par la critique et boudés par le public: À LA MERVEILLE (2012), KNIGHT OF CUPS (2015) et SONG TO SONG (2017).

Avec cette VIE CACHÉE, le réalisateur américain revient à son meilleur niveau, avec une narration plus classique qui n'enlève rien à sa veine naturaliste, à son lyrisme mystique, à la force de son propos. C'est un film de guerre sans champs de bataille, sans l'horreur des camps de concentration, sans bombardements ni raids aériens, sans rafles nocturnes des Nazis –le tout accompagné d'airs de musique classique parfois un peu emphatiques (Beethoven, Bach, Dvorak, Haendel, Gorecki).

Surtout, Terrence Malick rend hommage à ce héros méconnu, qui tout au long du récit reste calme, sans énervement ni passion, sans colère rentrée, juste armé de la force de sa conscience. Le titre du film est tiré d'une citation de la romancière britannique George Eliot (1819-1880), mise en exergue au générique de fin: "Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu’elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus". Vie cachée et tombe inconnue, pas tout à fait: Franz Jägerstätter fut reconnu comme martyr par l'Église catholique et béatifié en 2007 par le pape Benoît XVI.

Jean-Michel Comte

 

LA PHRASE

"Fais ce qui est juste" (Fani, la femme de Franz, s'adressant à son mari emprisonné et menacé de la peine de mort).

 

UNE VIE CACHÉE

("A Hidden Life") (États-Unis/Allemagne, 2h53)

Réalisation: Terrence Malick

Avec August Diehl, Valerie Pachner, Maria Simon

(Sortie le 11 décembre 2019)