YSL en mode biopic
C'est l'histoire d'un homme qui ''n'était heureux que deux fois par an: au printemps et à l'automne''. Au moment des collections de haute couture et de prêt-à-porter.
Dans YVES SAINT LAURENT, le biopic ''autorisé'' par son compagnon Pierre Bergé, le réalisateur Jalil Lespert dresse le portrait d'un génie de la mode, tourmenté et excessif, introverti et
talentueux, qui a marqué de son empreinte la seconde moitié du XXe siècle.
Tout commence en 1955. Le jeune Yves Saint Laurent, qui a passé son enfance en Algérie, est engagé chez Christian Dior. Deux ans plus tard, à la mort de celui-ci, le jeune homme, qui n'a que 21
ans, lui succède comme directeur artistique.
C'est le début d'une carrière fabuleuse, mais aussi d'une histoire d'amour hors du commun. Un an après avoir pris en main la ''maison Dior'', lors de son premier défilé triomphal en 1958, Yves
Saint Laurent fait la connaissance de Pierre Bergé (Guillaume Gallienne).
Les deux hommes ne se quitteront plus, jusqu'à la mort d'Yves Saint Laurent en 2008. ''Le talent, tu l'as. Le reste, je m'en occupe. Je serai toujours là pour toi'', dit Pierre Bergé à son
compagnon dès le début de leur relation.
Le film retrace les hauts et les bas de cette épopée YSL: le service militaire qu'il ne peut pas effectuer car il est maniaco-dépressif, la création de sa propre maison de haute couture en 1962,
ses égéries Victoire Doutreleau (Charlotte Le Bon) et plus tard Loulou de la Falaise (Laura Smet), l'homosexualité, les amants, la drague, la drogue, la maladie, la maison de Marrakech, les
traits de génie (la saharienne, le smoking féminin, le tailleur-pantalon, la collection Mondrian). Et toujours, en dépit des obstacles et du temps, le soutien indéfectible de Pierre Bergé.
Celui-ci, qui a donné son accord au film (la griffe officielle YSL
apparaît sur l'affiche, des croquis originaux et de vraies robes du couturier ont été fournis) a ici le beau rôle. Il est interprété avec sensibilité par Guillaume Gallienne, qui triomphe ce
moment avec son film à l'affiche LES GARÇONS ET GUILLAUME, À TABLE!
On voit aussi beaucoup Charlotte Le
Bon, l'ancienne Miss Météo de Canal+ aujourd'hui actrice confirmée, dans le personnage de Victoire, essentiel dans l'équilibre psychologique, affectif et artistique d'Yves Saint Laurent au
début de sa carrière.
Mais c'est bien sûr Pierre Niney qui crève l'écran
pendant plus d'une heure et demie, parfois amaigri, élancé, fragile, barbu, timide, malade, hésitant, colérique, amoureux, infidèle, ombrageux, débordant de génie et d'incertitude.
Dès les premières scènes, il prend la diction et le ton de voix de Saint Laurent, et un instant on craint l'exercice d'imitation, le numéro d'acteur. Mais très vite on se laisse bluffer par la
performance, la force de l'interprétation, la sincérité du biopic.
Pour son troisième film comme réalisateur (après 24 MESURES en 2007 et le remarquable DES VENTS
CONTRAIRES en 2011), parallèlement à une carrière d'acteur déjà bien fournie, Jalil Lespert réussit à tirer de l'émotion d'un simple défilé de mode, à dresser le portrait fidèle d'un homme
hors du commun, à raconter une histoire d'amour entre deux monstres sacrés.
''Je voulais raconter une histoire d'amour qui ait du souffle et qui soit épique'', explique-t-il. Le gros défaut du film est peut-être d'avoir trop insisté sur la vie privée d'Yves Saint Laurent
et pas assez sur ce qu'il a apporté au monde de la mode.
Mais Jalil Lespert n'y connaissait rien en la matière, et ce n'était pas son but premier. ''Sans l'accord de Pierre, je n'aurais pas fait ce film, non pas parce que c'est Pierre Bergé, mais parce
qu'il s'agit du compagnon de sa vie'', dit-il.
Il a pris en tout cas de vitesse un autre biopic sur le même sujet, non adoubé par Pierre Bergé: SAINT LAURENT, réalisé par Bertrand Bonello, avec Gaspard Ulliel (YSL), Jérémie Renier (Bergé) et
Léa Seydoux (Victoire), dont la sortie est annoncée
pour mai prochain, au moment du Festival de Cannes.
Comme Coco Chanel il y a quelques années, Yves Saint Laurent valait bien deux biopics. Pour l'instant, il y a tout à se satisfaire du premier, émouvant et sincère, malgré quelques concessions un
peu faciles au mythe de l'intouchable génie YSL.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
''Tu veux vivre ou tu veux mourir? Parce que si tu veux mourir, moi je ne peux rien faire pour toi'' (Guillaume Gallienne à Pierre Niney, quand YSL est au plus
bas).
YVES SAINT LAURENT
(France, 1h40)
Réalisation: Jalil Lespert
Avec Pierre Niney, Guillaume Gallienne, Charlotte Le Bon
(Sortie le 8 janvier 2014)